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    Le 21/05/2014 

    Propos recueillis par Michel Abescat

    François Hollande et Angela Merkel à l'Elysée... François Hollande et Angela Merkel à l'Elysée le 18 décembre 2012. - Photo: WITT/SIPA

    A quelques jours de l'élection de son parlement, l'Europe ne fait guère recette. Les abstentionnistes s'annoncent majoritaires, comme si les électeurs ne croyaient guère que leur vote puisse changer quoi que ce soit. La Malfaçon, le dernier livre de Frédéric Lordon, économiste et philosophe, éclaire de manière crue cette situation. Pour lui, la crise européenne n'est pas seulement économique. Elle est d'abord politique, car l'Europe se construit dans le déni des souverainetés populaires puisque les traités « verrouillent » toute discussion sur l'essentiel des décisions économiques. Il s'en explique dans cet entretien iconoclaste : démocratie, relations avec l'Allemagne, rôle des nations, « évidence trompeuse » de l'Europe, ses propos sont au cœur du débat.

    A vos yeux, la « malfaçon » européenne, sa tare congénitale, est d'abord d'ordre politique : les traités signés par les Etats européens les privent massivement de l'exercice de leur souveraineté...
    On aura une idée assez exacte de l’ampleur de la malfaçon européenne lorsqu’on aura dit que le plus fondamental n’est même pas dans l’absolu désastre présent. Un désastre tel pourtant qu’il appellerait, à propos de la Grèce ou du Portugal notamment, à forger un concept de « persécution économique ». La tare est principielle, et tient en effet à une opération de soustraction de la souveraineté démocratique dont il importe de prendre l’exacte mesure. L’anomalie, pour ne pas dire la monstruosité, politique européenne tient au fait d’avoir « constitutionnalisé » des contenus substantiels de politique publique, c’est-à-dire d’avoir inscrit dans les traités, textes les plus lointains et les moins révisables, des options particulières, notamment de politique économique, dès lors retirées à la délibération démocratique ordinaire, et figées ad aeternam : du statut de la Banque centrale européenne (BCE), de la nature de ses missions, de la possibilité qu’elle finance ou non directement les Etats, du niveau des déficits et des dettes, nous ne pouvons plus discuter car toutes ces choses ont été déclarées définitivement réglées. Or le propre de la démocratie, c’est qu’il n’y a jamais rien de définitif, et que tout peut toujours être de nouveau remis en discussion.

    Parmi toutes ces règles irréversiblement gravées dans le marbre des traités, il en est une, spécialement scélérate, qui a pour propriété de surdéterminer la privation de souveraineté : c’est celle qui organise la libre circulation, interne et externe, des capitaux. C’est par là en effet, et une fois que toute possibilité de financement monétaire des déficits est fermée par les autres règles des traités, que les Etats se trouvent condamnés au passage par les marchés, et par conséquent soumis à leur tutelle disciplinaire permanente. « N’ayez donc plus de déficit pour cesser d’en dépendre », réplique la doxa libérale. Et nous voilà partis pour tous les programmes d’austérité, alors même que c’est la récession, consécutive, je le rappelle, à la crise financière privée, qui a creusé les déficits à ce degré. Et exigerait d’ailleurs qu’on les y maintienne au nom d’une politique contracyclique rationnelle.

    Le 2 janvier 2002, Laurent Fabius vient observer le passage

    Le 2 janvier 2002, Laurent Fabius vient observer le passage à l'euro sur le terrain dans un supermarché Leclerc. - Photo: MAXPPP

     

    C’est donc l’interaction de la tutelle organisée des marchés financiers et de règles à la fois folles dans leurs contenus et illégitimes dans leur forme, qui est au principe d’une destruction volontaire de souveraineté probablement sans précédent dans l’histoire politique moderne.

    “L'Europe est
    constitutionnellement
    néolibérale.”

    Même si une majorité de gauche gouvernait l'Europe demain ?
    Tout ce que je viens de dire a été énoncé sans la moindre référence aux orientations partisanes des différents gouvernements des Etats-membres, et vaut en toute généralité. Cet ensemble de règles est totalement découplé des alternances politiques nationales et, si vous me passez un commentaire à la Fernand Raynaud, c’est étudié pour. Il s’agissait précisément de sanctuariser des principes substantiels de politique économique, et de les placer aussi loin que possible, dans d’intouchables traités, hors de portée du peuple bête et méchant.

    C’est pourquoi l’Europe est constitutionnellement néolibérale. Les orientations des politiques économiques sont enfermées dans une conduite automatique écrite dans les traités, inamovible. Les gouvernements n’ont plus de choix que sur les catégories de dépenses publiques à sacrifier, splendide oripeau de souveraineté. Laisser entendre, comme Vincent Peillon l’a encore fait récemment, que l’enjeu des élections européennes est de « passer d’une Europe de droite à une Europe de gauche » est donc une tromperie patentée dont on ne sait plus trop, à ce stade, ce qu’elle doit au cynisme pur ou au mensonge à soi-même.

    “L'Allemagne se raconte
    des histoires
    à propos de son histoire.”

    Dans votre livre, vous soulignez le rôle moteur de l'Allemagne dans la construction de l'Europe telle qu'elle est devenue...
    A chaque fois, il faut prendre le temps de s’expliquer car les hauts cris de « germanophobie » sont devenus l’asile du refus d’analyser. Il faut d'abord dire que les oligarchies nationales ont toutes donné leur consentement, et même activement œuvré à ce que la construction européenne ait la physionomie qu’on lui connaît. On ferait donc difficilement porter le chapeau à l’Allemagne seule. Et cependant, il importe tout autant de souligner la particularité de son rôle.

    Car dans cette affaire, l’Allemagne joue ses valeurs les plus hautes, telles qu’elle les a formées à l’épreuve d’une histoire dramatique. Comme l'Allemagne considère que l’hyperinflation de 1923 a été l’antichambre du nazisme, elle a fait de la question monétaire un enjeu vital, un objet de sanctuarisation qui doit être soustrait aux manipulations opportunistes des politiques – et l’on reconnaît ici l’opération formelle que reproduiront les traités européens. Il se trouve que l’Allemagne se raconte des histoires à propos de son histoire. Ce n'est pas l’inflation de 1923, mais bien plus sûrement la récession post-crise – déjà ! – qui, en 1932, a porté le taux de chômage à 25%… et les nazis au pouvoir un an plus tard.

    Des Allemands devant un tas de Deutsch Marks sans valeur pen

    Des Allemands devant un tas de Deutsch Marks sans valeur pendant l'hyperinflation en 1923. En 1913, le dollar valait 4,2 marks. En 1923, il en valait 4200 milliards. - Photo: MARY EVANS/SIPA

     

    Mais peu importe l’histoire que l’Allemagne se raconte : elle se la raconte. Et la monnaie y est depuis de l’ordre d’une valeur méta-politique, un objet de croyance et de consensus qui outrepasse totalement les enjeux partisans. Jamais l’Allemagne n’aurait accepté d’entrer dans la monnaie unique si celle-ci avait été organisée autrement que selon ses propres principes – ces mêmes principes qui, désormais inscrits dans les traités, déterminent irrévocablement la conduite des politiques nationales. Il ne faut pas douter que cet ultimatum – « à mes conditions monétaires ou rien » – sera systématiquement reconduit à chaque nouvelle étape d’une possible intégration européenne. De sorte que tout « progrès » en cette matière laissera rigoureusement inchangé le cœur du problème – et entière l’amputation de souveraineté.

    “L'intégration monétaire
    avec l'Allemagne est problématique
    pour la France.”

    Envisagez-vous alors l'idée de rompre avec l'Allemagne, de casser le fameux « couple franco-allemand » ?
    On peut simultanément reconnaître le rôle de premier plan du couple franco-allemand dans la restabilisation du continent européen à partir des années 60 et observer que ce couple est visiblement entré dans la zone des rendements décroissants. Et voici la recette du retournement d’une alliance vertueuse en attelage nuisible : croire qu’on peut poursuivre sans condition toutes les formes d’intégration. En l’occurrence, c’est l’intégration monétaire avec l’Allemagne qui est profondément problématique pour la France, et pour bien d’autres pays européens d’ailleurs, ceci pour des raisons qui tiennent à l’irréductible singularité allemande et à son refus absolu de transiger en cette matière. Maintenu envers et contre tout sous sa forme maximale, la forme de l’intégration en tout, le « couple franco-allemand » est en effet devenu un mythe néfaste qui obscurcit la pensée.

    Il faut en tout cas être tombé singulièrement bas dans la monomanie économiciste pour ne plus penser les rapports entre les nations qu’à l’aune de l’intégration financière, commerciale, ou monétaire. Il y a dans l’éditorialisme français des grands hallucinés qu’il va falloir réveiller. Ne pas se précipiter dans l’intégration monétaire, ou vouloir en sortir quand elle est avérée mortifère, serait ainsi le prélude au retour des camps ? Il faut leur réexpliquer que l’entente des peuples gagne moins à s’engager dans d’impossibles rapprochements qu’à cultiver tous ceux qui s’offrent, d’ailleurs bien trop négligés pour cause d’obsession économique : les échanges artistiques, scientifiques, la circulation des étudiants et des touristes, les programmes de traduction, les apprentissages croisés des histoires nationales, les manifestations culturelles communes, le développement des médias bi- ou plurinationaux, etc.

    “Le débat démocratique
    a été ramené
    au dernier degré de l'indigence.”

    Cette restauration de la souveraineté passe selon vous par la revalorisation de la nation. Cette position est délicate dans le débat actuel...
    Elle n’est délicate que parce que le débat public, autour de la question européenne, fait l’objet d’abaissements sans précédent et se trouve abandonné à des procédés honteux. Lorsque Jean-Marie Colombani explique que « la France du rejet de l’euro est la France du rejet de l’autre, la France de Vichy » (1), on sait très exactement où le débat démocratique a été ramené : au dernier degré de l’indigence.

    Jean-Claude Juncker, Gordon Brown, Angela Merkel, Nicolas Sa

    Jean-Claude Juncker, Gordon Brown, Angela Merkel, Nicolas Sarkozy, Silvio Berlusconi et Jose Manuel Barroso à Paris en octobre 2008. La crise financière mondiale vient de se déclencher. - Photo: WITT/SIPA

     

    Au demeurant la « revalorisation de la nation » ne me paraît pas la meilleure façon de poser le problème, au moins en première instance. Pour moi la vraie question, le nord magnétique, c’est la souveraineté. Car la souveraineté, comme capacité d’une communauté à se rendre consciente et maîtresse de son propre destin, n’est pas autre chose que l’idée démocratique même. C’est une fois posé le principe de souveraineté dans toute sa généralité que commence vraiment la discussion. Et d’abord pour identifier les lieux de sa mise en œuvre effective. Comme on sait, la nation a été ce lieu privilégié de l’exercice de la souveraineté depuis plusieurs siècles. Est-il indépassable ? Evidemment non. Sauf pour ceux qui croient aux mythes identitaires de la francité, la nation française, et plus généralement les entités nationales présentes, n’ont nullement existé de toute éternité. Et comme elles sont un produit de l’histoire, les actuelles nations n’en sont certainement pas le terme.

    Rien n’interdit donc en principe d’en concevoir le dépassement. Encore faut-il au moins apercevoir que, fût-ce sous une forme originale, l’intégration politique européenne, si elle était réelle, ne ferait guère autre chose que redéployer le principe de l'Etat-nation à une échelle territoriale élargie – de sorte que ceux qui affectent de se présenter comme « post souverainistes » sont le plus souvent des souverainistes qui s’ignorent. Encore faut-il également analyser les conditions concrètes de possibilités de cet éventuel dépassement. L’absorption de la nation, fût-ce sur le mode de l’Etat fédéré, dans un ensemble européen intégré est-elle praticable ?

    Ma réponse pour l’heure est non, et pour les raisons que j’ai déjà indiquées. Car, incluant nécessairement les questions de politique économique, et notamment de politique monétaire, l’intégration politique européenne se ferait inévitablement sous les conditions de « sanctuarisation » allemandes, qui sont des conditions anti-démocratiques pour tous les autres pays. Pour l’heure, et pour encore un moment, l’Allemagne repoussera catégoriquement toute construction qui ramènerait dans la discussion démocratique ordinaire les choses qu’elle a veillé à en exclure, et qui l’exposerait au risque d’être mise en minorité sur des questions dont elle a fait des conditions irrévocables: l’indépendance de la Banque centrale européenne, l’exclusivité de sa mission anti-inflationniste, l’interdiction absolue du financement monétaire des déficits, l’obligation de l’équilibre structurel des finances publiques.

    “Lorsqu’on dit « Europe »,
    on ne sait pas ce qu’on dit.”

    Au bout du compte, de quelle Europe rêvez-vous ?
    Je finis par trouver cette question elle-même très questionnable. Et je me demande si l’« Europe », cette catégorie en fait des plus vagues, n’est pas devenue un fétiche encombrant, un obstacle à la pensée politique. C’est que l’« Europe » n’a pour l’heure d’existence déterminable que sous deux formes : soit comme la catastrophe institutionnelle générale enfermée dans les actuels traités, soit comme un projet de communauté politique intégrée… mais qui s'avère impraticable. Quel sens précis lui donner hors ces deux cas, dont l’un est désastreux et l’autre impossible ? Si, comme je le crois, ce que nous appelons usuellement l’« Europe » ne peut être en réalité davantage qu’un réseau de coopérations variées – ce qui est loin d’être négligeable ! –, et si elle ne peut accéder à une consistance politique supérieure, alors nous sommes ipso facto relevés de toutes les tentatives hasardeuses de définir l’Europe par référence à une circonscription territoriale ou à une forme d’identité qui nous emmènerait invariablement dans le marécage des considérations « civilisationnelles » – comme en témoignent indirectement, mais éloquemment, les embarras récurrents posés par une possible candidature de la Turquie, et la question plus générale des « frontières de l’Union ».

    Faute de tout autre sens précis à lui donner, le terme « Europe » est devenu un faux cela-va-de-soi, une évidence trompeuse, et pour finir une catégorie hautement problématique dont l’usage n’a été stabilisé que par l’habitude – de sorte que, littéralement parlant, lorsqu’on dit « Europe », on ne sait pas ce qu’on dit – à part bien sûr désigner le catastrophique système des traités. Quitte à mettre ce qu’il faut de provocation pour tordre dans l’autre sens le bâton de l’eurofétichisme, pour ne pas dire de l’euromysticisme, je serais donc assez tenté de dire que la question de l’Europe est inintéressante. Et que l’abandon de cette catégorie-boulet recèle quelques réels avantages. Car identifier qu’une question est inintéressante est au moins la première étape pour en formuler de meilleures. Il est par exemple une question à la fois plus générale, et pourtant plus précise, plus urgente surtout, que celle de l’« Europe », c’est celle qui demande comment les peuples pourraient améliorer, et même approfondir, indéfiniment les relations qu’ils nouent entre eux.

    Le graffeur allemand Case a peint une série de 16 Pin

    Le graffeur allemand Case a peint une série de 16 Pinocchios sur les barrières qui protègent le chantier du nouveau siège de la Banque centrale européenne à Francfort. 7/05/2014 - Photo: Michael Probst/AP/SIPA

     

    Or, sous ce rapport, rompre avec l’obsession « Europe », et avec les apories, les contradictions irréductibles de l’appartenance à ce « club » mal défini, libère notre regard dans d’autres directions pour envisager, avec une égale ambition, d’approfondir les relations par exemple avec l’Afrique du Nord, le Moyen-Orient, ou la Russie. Il nous redevient également loisible de penser les relations inter-nationales sous les formes les plus variées qui soient, éventuellement au cas par cas, et non sous la forme de l’encasernement et du régime unique obligatoire. Perspective qui a au moins le mérite de faire droit à cette prémisse fondamentale que tous les peuples ne conviennent pas entre eux sous tous les rapports.

    Par exemple : tous les pays ne peuvent pas convenir avec l’Allemagne sous le rapport monétaire. Et je demande : en quoi ceci est-il un drame ? Faire ainsi l’analyse objective des rapports de disconvenance nous libère d’en poursuivre la réalisation chimérique pour le court terme, sans nous interdire de penser le moyen de les faire changer dans le long terme, et tout en nous laissant l’entier loisir de cultiver tous les autres rapports de convenance car il ne manque jamais d’en exister.

    Mais des fanatiques s’escriment à nous mettre dans la tête que nous nous portons au seuil de la troisième guerre mondiale si nous n’acceptons pas de nous soumettre à tous les codicilles francfortois [le siège de la BCE est à Francfort] d’une monnaie avec l’Allemagne. Les mêmes en revanche se soucient comme d’une guigne de traités qui ont pour effet de brutaliser comme jamais les corps sociaux européens, quand ils ne les jettent pas les uns contre les autres dans des rapports de concurrence si violents qu’on se demande comment quelque solidarité concrète pourrait en émerger jamais. Et c’est avec un parfait contentement qu’au nom de l’Europe post-nationale, ils laissent faire tout ce qui nourrit les haines nationalistes, et qu’au nom de la paix, ils encouragent tout ce qui détruit la paix.

    A lire
    La Malfaçon. Monnaie européenne et souveraineté démocratique, de Frédéric Lordon. Ed. Les liens qui libèrent, 296 p., 20,50 €.

    (1) Jean-Marie Colombani, « La France du repli et du rejet », Direct Matin, 3 Février 2014.


     

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    Conférence de presse de Jean-Luc Mélenchon sur le résultat des élections européennes

     

     

    Mardi 27 Mai 2014

    Laurent Mafffeis et Matthias Tavel

      

    Abstention : le 1er parti de France et d’Europe

    Avec 57 % d’abstention en France comme en Eu rope, la majorité des électeurs n’ont pas participé à ces élections européennes. Cette défiance est encore plus forte dans l’électorat populaire : 65 % des ouvriers, 68 % des employés, 69 % des chômeurs se sont abstenus d’après l’étude du vote réalisée par IPSOS.

    Cette défiance est homogène dans toute l’Europe et montre à quel point l’UE est désormais déconnectée du peuple. L’abstention est encore plus massive dans les pays qui ont intégré le plus récemment l’Union européenne. L’abstention atteint ou dépasse ainsi les 70 % en République Tchèque, Pologne, Slovaquie, Hongrie, Roumanie, Bulgarie, Slovénie, Lettonie et Croatie.

    Résultats en Europe :
    la percée de l’autre gauche méditerranéenne

    A l’image du succès de la CDU d’Angela Merkel, les partis de droite du PPE restent en tête au Parlement européen avec prés du tiers des sièges. Avec les sociaux-démocrates du PSE, la coalition majoritaire sortante conserve 54 % des sièges.

    Pas de sursaut de la social-démocratie
    Loin du succès annoncé par Martin Schulz, les sociaux-démocrates stabilisent leur nombre de députés. Leur rebond en Italie et leur progression en Allemagne masquent en réalité la poursuite d’un spectaculaire déclin dans le reste de l’Europe. Même en Allemagne, leur progression les place largement en dessous des scores historiques moyens des sociaux-démocrates allemands, alors même qu’ils disposaient de la candidature de Martin Schulz comme candidat à la présidence de la Commission. Dans plusieurs pays de l’Est, les sociaux-démocrates s’enfoncent sous les 10 %, notamment en Hongrie et en Pologne, pays qu’ils avaient pourtant dirigé pendant plusieurs années après la chute du mur de Berlin. Et dans les pays scandinaves, bastion de la social-démocratie européenne, ils sont loin de leurs scores historiques avec seulement 19 % par exemple au Danemark.

    Une extrême droite ascendante mais divisée
    Les partis d’extrême droite progressent fortement à l’image du Front National. Pourtant ils sont loin de constituer un "bloc europhobe" de 140 députés qui a été annoncé par la presse comme la principale nouveauté de cette élection. Les deux partis d’extrême drpote en tête en Grande-Bretagne et au Danemark refusent ainsi toute alliance avec le FN de Marine Le Pen. Quant au principal allié de cette dernière, le PVV du néerlandais Geert Wilders, il a réalisé une contre-performance électorale, tout comme son autre allié le Vlams Belang belge. Deux autres partis d’extrême droite en progression, le Jobik hongrois et Aube dorée en Grèce, font aussi bande à part par rapport au Front National. On est donc loin d’un "bloc europhobe" cohérent comme annoncé par les médias.

    La percée de l’autre gauche méditerranéenne
    Alors que les verts reculent de quelques sièges, les partis de l’autre gauche regroupés dans le groupe GUE progressent fortement. Le groupe GUE devrait ainsi voir son nombre d’élus passer de 35 à 53, soit une progression de 50 %, qui lui permet désormais de faire jeu égal dans le Parlement avec les Verts. Cette progression provient principalement des pays méditerranéens où l’autre gauche réalise une percée. Emmenée par Alexis Tsipras la coalition Syriza arrive en tête en Grèce avec 26,5 % (7 élus). L’autre gauche espagnole totalise 18 % entre l’alliance communiste Izquierda Plural (10 %, 6 élus) et le nouveau parti proche du mouvement des Indignés, Podemos (8 %, 5 élus). L’autre gauche remporte aussi 17 % au Portugal. Et elle retrouve aussi une représentation parlementaire européenne en Italie, avec 3 élus de la coalition Autre Europe.

    Laurent MAFFEÏS
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    Résultats en France :
    la crise politique s’approfondit

    Un mode de scrutin injuste…

    Officiellement, les européennes se déroulent à la proportionnelle. Dans les faits, le mode de scrutin en 8 circonscriptions favorise les gros partis. Le PS sauve 13 sièges alors que son score national ne lui donne droit qu’à 10. L’UMP emporte 20 sièges alors que son score ne lui en aurait donné que 15 à la proportionnelle nationale. Le FN tire le jackpot : avec 24,85% des voix, il empoche 32% des sièges soit 24 élus. Dans le Nord-Ouest, la liste de Marine Le Pen empoche même la moitié des sièges (5 sur 10) avec moins d’un tiers des suffrages.
    A l’inverse le FDG aurait eu un élu supplémentaire à la proportionnelle nationale. Surtout, le seuil pour participer à la distribution des sièges est officiellement de 5%. Mais le FDG n’obtient que 4 élus alors qu’il le franchit dans les 8 circonscriptions du pays.

    Le FN en tête
    Le Front National arrive en tête d’une élection nationale pour la première fois de son histoire. Avec 4,7 millions de voix, il obtient 24,85% des suffrages. Son score est homogène. Le FN dépasse les 10% des exprimés dans tous les départements sauf Paris, Mayotte, la Martinique et la Guadeloupe. Il arrive premier dans 5 des 8 circonscriptions (Nord-Ouest, Est, Sud-Est, Sud-Ouest, Centre) et 71 départements. Seuls l’Ouest et l’Ile-de-France, zones traditionnellement plus faible, placent l’UMP en tête, le FN plafonnant sous les 20% des exprimés.
    Avec 4,7 millions de voix, le FN ne retrouve cependant pas les 6,4 millions de voix de Marine Le Pen à la présidentielle de 2012. Mais il dépasse d’un million son nombre de voix des législatives 2012 (1er tour), dernière élection nationale, alors que la participation y était nettement plus forte. Par rapport aux élections européennes de 2009 où la participation était équivalente, le FN multiplie son nombre de voix par plus de 4 (il obtenait 1,1 millions de voix).
    D’où viennent ces voix ? Seule une analyse bureau de vote par bureau de vote permettrait de le savoir avec exactitude. Mais de toute évidence, le score du FN s’explique principalement par une plus grande mobilisation de son électorat et plus modestement par un jeu de vase communicant avec la droite « classique ». Aux européennes de 2009, le total des listes de droite et extrême-droite cumulait 8,6 millions d’électeurs. Cette année, il atteint 11,7 millions, trois millions de plus, uniquement tiré par le FN. Les listes de droite « classique » reculent de 450 000 voix. Le total, 3,5 millions, correspond exactement aux progrès du FN.

    Crise à droite
    Le FN est-il en train de prendre la tête de l’opposition de droite à François Hollande ? La question mérite d’être posée. Car l’UMP ne réussi pas à remplir ce rôle. Avec 3,9 millions de voix, l’UMP retrouve à peine la moitié des voix de la majorité sarkozyste sortante aux législatives de 2012 (8 millions). Elle obtient même 860 000 voix de moins qu’aux européennes de 2009. La tribune de Nicolas Sarkozy publiée à trois jours du scrutin n’aura pas mobilisé.
    La défection du centre-droit (l’UDI de Jean-Louis Borloo se présentait cette année avec le Modem alors que ses composantes participaient aux listes UMP en 2009 et 2012) ne suffit pas à expliquer ce recul de l’UMP. Le total des voix centristes, UMP et divers droite est en recul par rapport aux législatives de 2012 (-2,5 millions) comme par rapport aux européennes de 2009 (-500 000 voix). Une part non négligeable des électeurs du centre-droit et de la droite a donc préféré s’abstenir ou voter FN.
    C’est particulièrement visible dans certaines circonscriptions comme le Sud-Ouest. Avec 8,6% des voix, le candidat UDI-Modem Robert Rochefort obtient un score identique à celui de 2009 (8,61%) alors que la liste UMP s’effondre, passant de 26,7% en 2009 à 18,5% seulement. Même dans l’Ouest où l’UMP reste devant le FN, le parti de Jean-François Copé passe de 27,2% à 19,6%. La liste UDI-Modem ne récupère que la moitié des pertes.

    Le PS à son plus bas historique
    L’UMP ne profite pas de la démobilisation des électeurs de gauche. Le PS est pourtant frappé très violemment. Après la bérézina des municipales, il essuie une deuxième déroute. Avec 13,98% des suffrages exprimés, le PS réalise son pire score à une élection nationale depuis 1965. Il fait pire qu’aux législatives de 1993, pire qu’à la présidentielle de 2002, et même pire que Michel Rocard aux européennes en 1994 (14,3%).
    Le PS obtient à peine 2,6 millions de voix. C’est 200 000 voix de moins qu’en 2009. Surtout, le PS est le parti qui perd le plus d’électeurs par rapport aux élections législatives de 2012. Il perd 5,4 millions de voix. Le PS perd 67% de ses voix des législatives quand la participation ne recule que de 25% ! Après les élections municipales, le nouveau Premier secrétaire du PS Jean-Christophe Cambadélis jugeait que « les électeurs de gauche nous ont fait la grève ». C’est manifestement une grève reconductible.
    Combinée à la sortie d’Europe Ecologie du gouvernement, c’est l’assise sociale de la majorité gouvernementale qui est réduite à un niveau jamais atteint. Les quatre dernières élections européennes ont toutes été organisées deux ans après l’élection d’une nouvelle majorité parlementaire. La comparaison est donc facile. Elle est édifiante pour François Hollande. En 1999, deux ans après sa victoire de 1997, la gauche plurielle totalisait encore 38% des voix. En 2004, deux ans après la réélection de Jacques Chirac, la majorité gouvernementale UMP-UDF rassemblait encore 29%. En 2009, deux ans après la victoire de Nicolas Sarkozy, l’UMP atteignait 28%. Cette année, seuls les listes du PS-PRG soutenaient le gouvernement. Elle recueillent donc 13,98% ! Manuel Valls n’a pas de base sociale dans le pays.

    Le PS emporte (presque) tout dans sa chute
    Le PS emporte presque toute la gauche dans chute. Le total des partis de gauche et d’extrême gauche est terriblement bas. En 2009, ce « total gauche » dépassait les 45%. En 2012, aux législatives, il flirtait avec les 48%. Cette année, il atteint péniblement les 34% ! La politique de François Hollande met en danger tout le monde à gauche, même ceux qui la combattent ou la critiquent ! Sa sortie du gouvernement a permis à Europe Ecologie de retrouver ses électeurs des législatives de 2012 (1,7 million de voix contre 1,4 million en 2012). Mais cela n’a pas empêche l’effondrement par rapport aux européennes de 2009 : le parti perd 40% de ses voix soit plus d’un million de suffrages. Même chose pour les listes d’extrême gauche (NPA, LO). Elles améliorent leur score des législatives 2012 mais s’effondrent par rapport à 2009. C’est particulièrement vrai du NPA qui récoltait 4,88% des voix et ne dépasse pas 1% cette fois-ci.

    Front de Gauche : entre résistance et ressac
    Dans ce contexte, le Front de Gauche résiste. Il est la seule force de gauche à gagner quelques voix par rapport aux européennes de 2009. Avec 1,25 million de voix, il obtient 6,61%. C’est un peu mieux qu’en 2009 où le FDG totalisait 1,1 million de voix et 6,48%. Contrairement à 2009, le FDG franchit la barre des 5% dans toutes les circonscriptions. Dans les 7 circonscriptions métropolitaines, le FDG progresse en voix par rapport à 2009. Les gains sont plus forts dans l’Est (+ 42 000 voix pour Gabriel Amard) et dans le Sud Ouest (+38 000 voix pour Jean-Luc Mélenchon). Dans les 7 circonscriptions, le FDG recule en voix par rapport aux législatives de 2012. Les pertes sont plus lourdes dans le Nord Ouest, l’Ile-de-France et le Sud-Est où elles dépassent 100 000 voix.
    La résistance nationale ne masque pas un score décevant. Le recul en voix du par rapport aux législatives de 2012 est plus important que la baisse de participation. (-33% des voix pour -25% de participation). Cette tendance est confirmée par le sondage IPSOS « comprendre le vote des Français » réalisé à la veille du vote. Il indique qu’environ un quart des électeurs de Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle a de nouveau voté pour le Front de Gauche, un quart s’est porté sur d’autres listes de gauche (EELV, Nouvelle Donne…) et la moitié s’est abstenu.
    Dans le détail, Jean-Luc Mélenchon dans le Sud-Ouest, Gabriel Amard dans l’Est et Myriam Martin dans l’Ouest améliorent le score du FDG par rapport à 2009 mais aussi par rapport aux législatives de 2012. Gabriel Amard est celui qui progresse le plus par rapport à 2009 (+1,35 point). Jean-Luc Mélenchon est celui qui progresse le plus par rapport aux législatives 2012 (+0.73 point). Comme en 2009, Jean-Luc Mélenchon obtient le meilleur score du FDG avec 8,6% dans le Sud Ouest, améliorant son résultat de 2009. Il progresse en voix dans la totalité des 18 départements de la circonscription.

    Dans des terres à forte influence communiste, Corinne Morel Darleux et Jacky Hénin voient leur score reculer par rapport à 2009 et 2012 en pourcentage. Corinne Morel Darleux améliore cependant le score par rapport à 2009 dans certains départements comme le Puy-de-Dôme (+ 2 000 voix et + 0,33 point). Le recul le plus important concerne le Nord-Ouest où Jacky Hénin n’est pas réélu. Il est le seul député sortant FDG dans ce cas. Marie-Christine Vergiat dans le Sud-Est, Patrick Le Hyaric en Île-de-France, Younous Omarjee outre-mer et Jean-Luc Mélenchon sont réélus.

    Matthias TAVEL

     

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