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     En finir avec le Parti Socialiste : pour un boycott civique et républicain de toutes les variantes de vote socialiste aux municipales !

     Sur Le grand soir -21 février 2014

    Par Yann LARGOEN

      

      

    Il y aura toujours une bonne raison pour les gens de gauche de voter toute leur vie sans aucune conviction pour les candidats du Parti Socialiste à toutes les élections. Tantôt il s'agira de permettre à « la gauche » d'être présente au 2ème tour, une autre fois de « battre la droite », une fois encore de « faire barrage à l'extrême droite », ou bien « d'aiguillonner le PS à gauche » ou pourquoi pas de conserver à la mairie de « bons gestionnaires » ou bien de favoriser au moins les « avancées sociétales » à défaut d’autre chose, ou enfin de considérer que les socialistes locaux sont de « braves gens vraiment de gauche, pas comme là-haut » etc.

    A cause de cette sorte de peur irrationnelle qui nous fait voter contre notre volonté et notre intelligence à chaque élection, nous travaillons de fait au maintien de l’hégémonie du Parti Socialiste dans l’ensemble des assemblées élues et au-delà, dans tout le paysage politique, voire dans toute la société. Dans maintes situations lors des prochaines municipales, il s’agira donc encore une fois pour notre gauche de voter socialiste au 2ème tour, pour tenter de conquérir ou de renforcer [ce sera une nouvelle bonne raison] des positions éternellement minoritaires. Nous ne ferons ainsi qu’entretenir une fois de plus à notre corps défendant la suprématie du Parti Socialiste dans la vie politique de notre pays, avec les conséquences terribles que l’on sait.

    Cela vaudra notamment dans la situation où les candidats se réclamant du Front de gauche se retrouveront sur une liste socialiste à la faveur d’une union de 1er tour [!] comme dans la situation où ils auront décidé d’une fusion de 2ème tour avec la liste socialiste, les deux situations pouvant d’ailleurs se conjuguer. Et la question de savoir si on fusionne en négociant notre participation à l’exécutif [!] ou si on se borne à une fusion technique sans soutien, ne change fondamentalement pas grand-chose : dans les deux cas, on va se retrouver assignés à voter socialiste au 2ème tour. A la décharge de nos candidats des listes autonomes du 1er tour, il ne sera pas facile pour eux de faire autrement que de fusionner après avoir été supplantés par la liste socialiste, comme ce sera le cas dans de très nombreuses communes.

    Le mode de scrutin pousse [oblige politiquement en fait] à des regroupements de 2ème tour et notre liste autonome serait probablement rétamée si elle se maintenait envers et contre tout, après avoir été devancée. Elle ne manquerait pas d’être accusée de tous les maux si sa présence faisait élire la droite. On est ici entraîné par le mode de scrutin dans une sorte de piège infernal où on perd à tous les coups : on perd en se maintenant parce qu’on apparaît comme des diviseurs et on perd aussi en fusionnant car on fait élire les socialistes. Dans le moment politique que nous vivons, Il n’y aura pas de bonne solution pour nos listes et on ne pourra pas leur en vouloir de fusionner : elles ne peuvent pas trouver la bonne solution d’elles-mêmes pour sortir de la nasse, pour la bonne et simple raison que la solution est entièrement entre nos mains.

    Dans presque toutes les élections, ce sont nos votes par défaut qui permettent la victoire du candidat socialiste. Il ne réunit pratiquement jamais sur son étiquette une majorité de suffrages de conviction au 1er tour et a besoin qu’une grande proportion des votes de la vraie gauche se reporte sur son nom pour être élu. Il suffirait dans presque tous les cas qu’une assez faible part des électeurs de notre gauche refuse d’emprunter ce chemin de croix mortifère pour changer la donne électorale et dans une grande mesure ce faisant, la donne politique. Le moment est venu de faire le pas en accentuant par notre boycott du vote socialiste au 2ème tour les effets de l’abstentionnisme des électeurs socialistes, afin de le rendre plus dévastateur encore.

    On ne se retient plus de dire que les socialistes sont pires que la droite, ce qui aurait été considéré comme une invective gauchiste il y a peu. Les choses sont d’ailleurs un peu plus complexes. En fait, le Parti Socialiste n’a pas de nature, il n’a que des états. Et c’est dans l’opposition à la droite au pouvoir que son état nuit le moins à la convergence et à l’extension des luttes. Avec l’UMP au pouvoir, il était obligé de s’en différencier, ce qui avait le mérite immense de rendre son électorat populaire disponible pour rejoindre le camp de la résistance. Au pouvoir, la base socialiste est comme paralysée par ses choix électoraux et le peuple se retrouve divisé, affaibli. Si l’on veut lutter efficacement contre l’austérité, il faut évidemment rassembler le plus largement possible. Pour cela, on a besoin d’un parti socialiste dans l’opposition, même purement formelle, parce que sa base populaire est alors disposée à nous entendre.

    C’est vrai au plan national comme dans les municipalités. On n’entraînera jamais l’électorat d’un Maire socialiste contre sa politique. On parviendra en revanche à s’unir avec la base populaire du Parti Socialiste contre la politique d’un maire de droite. En d’autres termes, on est toujours plus forts contre la droite. Et quand on fait le bilan, la droite au pouvoir avec une opposition incluant le Parti Socialiste [par la force des choses sinon du fait de sa volonté] donne globalement des résultats moins catastrophiques [la retraite à 62 ans] que la fausse gauche au pouvoir avec une opposition affaiblie [la retraite à 66 ans]. La politique du pire, c’est de voter pour le Parti Socialiste et de croire qu’avec nos seules forces on va parvenir à faire contrepoids, alors que sa base populaire aura été dévoyée du camp de la résistance et qu’on se retrouvera seuls et impuissants comme aujourd’hui.

    L’idée que la gauche au pouvoir allait rendre l’espoir au peuple et ainsi favoriser les mobilisations, ne s’est pas vérifiée dans les faits à la suite de l’élection présidentielle. Aucune mesure de gauche n’a été prise, pas le moindre signe qui puisse donner confiance aux nôtres et les encourager à sortir de la résignation. Rien de tel ne s’est produit qui aurait pu nous donner rétrospectivement raison d’avoir voté socialiste au 2ème tour. Notre vote a été entièrement instrumentalisé, confisqué sans aucune contrepartie au service d’une politique de droite. La seule raison qui a pu nous déterminer à voter socialiste la dernière fois s’est avérée être une mauvaise raison. Et le ressort dialectique vertueux sur lequel nous comptions n’opère évidemment pas lors d’élections municipales. C’est en toute hypothèse à de nouvelles attaques contre les salariés qu’il faut s’attendre, que le Parti Socialise limite ses pertes avec notre aide, où que celles-ci soient historiques grâce à notre boycott civique et républicain.

    Quel risque réel prenons-nous donc, en refusant de voter pour le candidat socialiste au deuxième tour des prochaine élections municipales, à permettre l’élection du candidat de la droite ? Nous allons essayer de répondre à cette question avec toute la difficulté d’un plaidoyer à contre-courant, pour défendre un point de vue jamais discuté collectivement et donc nécessairement inabouti, qui appellera la critique constructive et argumentée du lecteur à défaut de son adhésion.

    Une première confusion doit être dissipée. On a trop souvent tendance à croire que seule la soi-disant gauche municipale est susceptible de mener des politiques sociales. Or les choses ne sont pas aussi simples. A l’origine, ce sont les élus communistes qui ont inventé les politiques sociales dans les mairies, à l’époque lointaine où la droite locale représentait les possédants, propriétaires fonciers dans les campagnes, propriétaires immobiliers ou commerçants dans les villes. Ces derniers étaient surtout attachés à faire prospérer leur rente [sans pression fiscale excessive] dans un contexte historique où la controverse politique communale était toute entière inspirée par la petite bourgeoisie dans les villes et la paysannerie aisée dans les campagnes. Cette configuration existe toujours (il suffit d’ouvrir les yeux pour la voir ici ou là) mais à l’état de vestiges d’un passé désormais révolu.

    C’est le développement des villes, lui-même lié au développement du salariat, qui a permis au Parti Communiste de littéralement inventer le service public communal dont il a été non-seulement le précurseur, mais pendant longtemps le seul promoteur, dans les bassins ouvriers où il était implanté. Progressivement, le salariat et l’urbanisation se développant, toutes les autres forces politiques ont été amenées à épouser à leur tour cette vision moderne de la gestion publique dite aujourd’hui de proximité. A tel point que désormais, sous la pression de leur base qui n’est évidemment plus constituée des seuls rentiers, toutes les formations politiques s’accordent à reconnaître, avec des différences qui subsistent mais marginalement, qu’il y a lieu de la défendre et de la développer.

    La raison de cette unification des points de vue est simple à comprendre : ce sont en effet les résultats de cette gestion qui sont aujourd’hui globalement appréciés [c’est le fameux « vote local » dont parlent les sondages] par les électeurs de gauche comme de droite et qui conditionnent le maintien ou la perte des positions électorales acquises : cela favorise évidemment la mise à distance d’éventuels différents idéologiques sur la question, même si ces différents perdurent, notamment dans les rares ghettos de la bourgeoisie ainsi que dans les zones rurales paupérisées où le salariat traditionnel n’est pratiquement pas présent.

    La droite mène donc également des politiques sociales, parfois d’ailleurs beaucoup plus avancées que les mairies de gauche, ce paradoxe tenant à l’extraordinaire disparité de ressources entre les collectivités, entre les communes riches et les communes pauvres. Car ce qui fonde la qualité de gestion et les capacités de réalisation d’une collectivité publique, à plus forte raison lorsqu’elle entend s’écarter des modèles préétablis, ce sont d’abord et avant tout ses moyens budgétaires. Eux seuls lui permettent de s’entourer de l’ingénierie de haut niveau nécessaire aujourd’hui à la gestion publique, surtout si on la veut participative et innovante, et eux seuls permettent de consacrer les financements lourds nécessaires non seulement aux fameuses réalisations, mais à la mise en place toute simple de services à la population avec des tarifs accessibles.

    Tant et si bien que si l’on pouvait établir un classement des collectivités territoriales à partir de critères objectifs en fonction de leurs performances au service quotidien des habitants, ce sont évidemment les collectivités dont le potentiel fiscal est le plus élevé qui se retrouveraient en tête et non pas les collectivités de gauche. C’est une pure escroquerie intellectuelle que de soutenir que les politiques sociales notamment sont « en général » plus développées dans les collectivités de gauche alors qu’elles sont massivement les plus pauvres pour des raisons socio-électorales évidentes. Cela peut être vrai [pas toujours] si l’on compare des collectivités de structure financière voisine, et parfois si l’on compare une gestion de gauche et une gestion de droite dans la même collectivité [à condition que la gauche en question ne s’inspire pas de la gauche gouvernementale actuelle], mais cela n’est plus vrai si l’on compare l’ensemble des communes et des intercommunalités : la droite riche fait mieux ici que la gauche pauvre à tous égards et c’est du contraire qu’il y aurait lieu de s’étonner.

    On pourrait développer en expliquant que c’est pain béni pour le système que de voir la ressource se concentrer là où elle est le moins nécessaire et se raréfier dans les municipalités qui, du fait de leur composition sociologique, en ont le plus besoin. Cela permet aux municipalités dites de gauche de consacrer leur mandat à expliquer à leurs électeurs qu’elles voudraient bien mais qu’elles ne peuvent pas, compris s’agissant de services qui sont fournis de longue date dans les mairies de droite plus riches dont les besoins en la matière ne sont jamais aussi élevés du fait de leur occupation sociale. Les élus de gauche jouent surtout alors un rôle non pas de dispensateurs des moyens du vivre mieux, mais de régulateurs politiques irremplaçables favorisant l’acceptation fataliste du vivre comme ça.

    Une autre légende urbaine conduisant à survaloriser les municipalités socialistes par rapport aux municipalités de droite, tient en la conviction des nôtres que le fait de disposer d’élus locaux constituerait un puissant levier, propre à faire rayonner notre politique dans l’ensemble de la population où variante, propre à peser sur les choix de la municipalité socialiste. Evacuons rapidement ce dernier aspect : ce qui amènera la municipalité socialiste à dénoncer le contrat avec Véolia, ce n’est pas la qualité des arguments des quelques Conseillers municipaux du Front de gauche, c’est la capacité du Front de gauche lui-même à poser le débat dans la population et à créer ainsi le rapport de forces qui obligera le maire à s’y rallier, au besoin contre son gré. On connait peu d’exemple [si on laisse de côté les forfanteries des élus communistes parisiens auxquels la dé-privatisation de l’eau ne doit rien] de batailles de ce type menées avec succès, que ce soit d’ailleurs depuis le Conseil municipal, depuis le mouvement social, ou à la faveur d’une articulation entre les deux démarches locales. Passons sur ces sornettes.

    Plus intéressante est l’idée que le fait de disposer d’élus au Conseil municipal donnerait de l’écho à nos positions politiques. S’il en allait ainsi, on pourrait le vérifier à la lumière de l’expérience historique du Parti Communiste qui reste une source d’inspiration de nos combats actuels, quand bien même les situations n’auraient plus rien à voir.

    A-t-on jamais observé que le Parti Communiste de sa grande époque ait amélioré son influence électorale proprement politique [nationale] dans les communes où il participait à une municipalité socialiste ? Ou même dans les communes où il détenait le poste de Maire ? [Il n’existait pas à l’époque que l’on vise d’opposition au sein des Conseils municipaux]. Cela ne s’est jamais vu. Au contraire, ce qui a pu être observé, c’est que lorsqu’un communiste était élu Maire, il faisait un résultat beaucoup plus élevé aux municipales qu’aux législatives où il était souvent présenté par son parti. Le fait que son travail local était reconnu et encouragé à travers le vote aux municipales ne profitait pas à l’audience des propositions politiques du Parti Communiste. A y bien réfléchir, c’est le contraire qui serait étonnant, et inquiétant d’une certaine manière quant au sens politique de nos concitoyens.

    Le Parti Communiste lui-même [ou plutôt ses élus lorsque leur rôle grandissait aux dépens des syndicalistes jusqu’à devenir hégémonique dans le parti] a souvent entretenu cette vision fausse de l’importance des positions locales dans la bataille politique, jusqu’à d’une certaine façon finir par identifier les deux avec les conséquences délétères que l’on sait : les batailles électorales locales prenant en fin de compte le pas sur les luttes sociales et politiques dans sa stratégie d’ensemble. Une illusion d’optique plus ou moins entretenue a ainsi pu conforter l’idée que la perte d’un siège de député résultait de la perte d’une mairie, pour éviter de poser les problèmes d’activité et de ligne politique qui en fait expliquaient à chaque fois les deux reculs. Les positions municipales quelle que soit leur configuration, pour indéniablement utiles qu’elles puissent être dans d’autres champs, n’ont jamais été d’aucune utilité en revanche dans le processus de contrôle du pouvoir politique par le peuple, ni même de renforcement de ses positions dans le rapport de force. Il n’y a aucune raison de penser qu’il en aille différemment dans l’avenir, notamment là où notre gauche constituera une opposition minoritaire à la majorité socialiste.

    Certains sondages font régulièrement état de l’estime dans lequel les français tiennent les élus communistes, voir le Parti Communiste lui-même. On est à chaque fois un peu étonné compte tenu du peu de preuves d’estime dont ils accompagnent ces bons sentiments lors des consultations électorales. En creusant un peu, on réalise que ce qui fait chaud au cœur des français, c’est le dévouement des communistes, leur proximité avec les plus pauvres. On ne peut manquer de se dire que c’est bien, mieux en tout cas qu’un sentiment de détestation généralisé. Mais tout aussitôt on se reprend en se demandant si c’est bien pour ça que le Parti Communiste existe. L’action des élus de la vraie gauche créera de la même façon des bons sentiments à son égard, pas de la conviction politique et encore moins de la mobilisation populaire.

    Une idée voisine rivalise de hardiesse conceptuelle avec la précédente : l’idée que la conscience politique des citoyens puisse sortir mieux éclairée de foires d’empoigne locales innommables [entre voisin(e)s de plus, absolument pas identifiés comme dépositaires d’intérêts sociaux contradictoires] touchant aux sujets importants qui restent formellement de la compétence des pouvoirs publics locaux, comme la fiscalité, la tarification des services public, l’urbanisme, le cadre de vie, le logement etc. Dès lors que le débat en cause s’organise par définition dans le périmètre restreint de compétences communales littéralement asservies juridiquement, financièrement et politiquement, à des choix premiers et complètement structurants faits ailleurs, par d’autres et au service d’autres intérêts, on ne voit pas comment le citoyen de base pourrait tirer réel profit d’un tel simulacre démocratique. Dans la nuit des libertés locales, tous les chats sont gris.

    Il en allait différemment dans les temps lointains de la gestion municipale communiste où leurs initiatives n’étaient pas corsetées par une sur-règlementation d’inspiration souvent européiste et toujours libérale proprement délirante comme c’est le cas aujourd’hui. Et où ils disposaient d’une liberté bien supérieure, en dépit de la tutelle qu’exerçait le Préfet sur tous leurs actes de gestion avant les lois de décentralisation, à la liberté qui est la leur aujourd’hui de décider du menu des cantines, du fleurissement des ronds-points et de la synchronisation des feux rouges [uniquement sur la voirie communautaire]. La restriction à venir des crédits budgétaires d’Etat profitant aux collectivités territoriales et la pollution de notre législation par les normes qui les mettent au service du marché, ne feront que réduire encore la capacité pour les nôtres de pratiquer cette « gauche par l’exemple » qui n’est plus qu’une vue de l’esprit.

    A entendre pourtant certains de nos amis, les perspectives transformatrices offertes par la gestion locale seraient sans limite à tel point que l’on finirait par s’interroger sur la réelle opportunité de poursuivre le combat pour contrôler le pouvoir d’Etat. C’est bien sûr le contraire qui est vrai : il ne peut pas y avoir de gestion communale satisfaisante pour la population dans le cadre du système et il serait insensé de ne pas poser ceci comme base de notre engagement, au moins dans notre propre réflexion. Il faut donc rester sur terre et faire également la critique de tout ce que le pouvoir municipal a charrié dans l’histoire de notre mouvement, de glorieux certes lorsqu’il s’agissait d’ouvrir des cantines, des colonies de vacances et des bibliothèques aux enfants des ouvriers et de constituer des fonds de solidarité pour venir en aide à leurs parents grévistes, mais de terriblement régressif aussi.

    Comment ne pas être consterné par ces bureaucratie municipales de notre gauche satisfaites d’elles-mêmes, prêtes à se vendre au plus offrant dans tous les domaines avec leurs costards cravates de quasi-socialistes arrogants, pourries par les rivalités de carrière en leur sein et le clientélisme le plus sordide, vivant de leurs prébendes jusqu’à épouser le référentiel de leurs corrupteurs, voire l’exportant au sein de leurs instances politiques ? L’examen critique de l’histoire municipale de notre camp devrait nous conduire à une grande fierté en même temps qu’à une grande humilité. Et nous conduire aussi à ne pas confondre le nécessaire et vital contrôle démocratique de la population sur ses élus avec les budgets participatifs et autres gadgets modernistes.

    Bref, tout ça pour dire [surtout si l’on se place dans la perspective d’un transformation des collectivités territoriales en courroies de transmission obligées des politiques libérales d’austérité] que l’occupation de positions [a fortiori minoritaires] de résistance au sein des municipalités ne présente peut être pas tout à fait l’intérêt qu’on y voit. Ou en tout cas qu’elle oblige les élus de notre camp à une bonne structuration des données de base. Cette survalorisation de la bataille visant à acquérir ou à conforter des positions dans les municipalités socialistes est à vrai dire un peu inquiétante. On est fondé à se demander si la perspective d’occuper effectivement lesdites positions ne vient pas perturber le jugement de nos amis qui s’en font les chantres naïfs. Et surtout si l’on ne cède pas aussi à cette sorte de facilité mortelle qui conduit à transférer, pour des raisons de confort personnel et d’illusoires facilités opérationnelles, le siège principal de la bataille pour le pouvoir du terrain politique au terrain de la gestion.

    Ainsi les principaux arguments qui fondent la croyance en le fait qu’une municipalité socialiste dans laquelle on serait l’opposition de gauche est préférable à une municipalité de droite, n’emportent pas nécessairement l’adhésion. D’abord les différences de gestion ne tiennent pas tant à la couleur politique qu’aux ressources ; ensuite seule la mobilisation de la population peut peser [rarement] sur les choix et peu importe qu’elle s’organise de l’intérieur de la mairie ou de l’extérieur ; par ailleurs l’occupation de positions électives locales ne favorise pas la propagation de notre vision politique dans le peuple ; enfin le contexte hyper-réglementé et les contrainte de l’austérité ne laisseront que peu de place à l’innovation créatrice dont il ne faut pas surestimer la portée.

    Que reste-il alors qui pourrait nous conduire à voter pour un candidat socialiste au 2ème tour qui serait plus fort que l’attitude de boycott constructif que nous commande notre esprit civique et républicain et dont nous allons démontrer à présent la nécessité et l’urgence démocratiques ?

    2] Nous observons aujourd’hui un phénomène de rejet du Parti Socialiste dans tous les secteurs de la société. Cette disqualification généralisée transcende les familles politiques et se manifeste notamment dans les milieux populaires et les classes moyennes, aussi bien à gauche qu’à droite. Elle « passe au-dessus » en quelque sorte d’une critique raisonnée des orientations politiques du Parti Socialiste, pour converger dans une sorte de « méta-détestation » qui grandit dans le corps social. Ce mouvement a quelque chose d’infra-politique extrêmement profond qui parcourt toute la société française et dont on peine à trouver un précédent historique. Rien ne trouve plus grâce aux yeux de l’opinion dans la politique conduite par le Parti Socialiste, ni ses frémissements modernistes récusés par la gauche, ni ses options socio-économiques archaïques violemment rejetées par la droite alors qu’elles sont celles de la droite. On sent bien que c’est la légitimité-même du pouvoir socialiste à gouverner qui est mise en cause de toutes parts, bien au-delà de simples désaccords sur les politiques suivies, lesquelles ne servent que de carburant à cette sourde interpellation sociétale qui constitue le bruit de fond du moment politique.

    Tout se passe comme si l’on assistait à la fin du modèle politique mis en place par le Parti Socialiste à son Congrès d’Epinay au début des années 1970, dont toute l’architecture organisationnelle voulue par Mitterrand visait un seul objectif : gagner les élections présidentielles. Ce modèle tendait à faire du Parti socialiste une sorte de machine de guerre organisée en tendances structurées dont chacune avait vocation à attirer électoralement un ensemble de familles politiques, sans considération aucune de leur histoire ni des intérêts sociaux spécifiques d’ensemble qui les constituaient. Cette machine de guerre a été le siège de rapports de forces la faisant osciller de la ligne d’Union de la gauche dans un premier temps à la ligne néo-libérale à partir de 1983, mais a conservé ses mêmes fondements structurels à travers le temps. C’est fondamentalement ce modèle qui cristallise aujourd’hui le ressentiment de la population contre la politique en général, à travers les avatars monstrueux qui en résultent.

    Ce qui était au départ un concept d’organisation dédié à un projet électoraliste a fini par faire du Parti Socialiste un appareil politique tout à fait original, très différent des partis politiques traditionnels. Essentiellement pour cette raison fondatrice, le Parti Socialiste est devenu autre chose qu’un parti politique, une espèce de système politique en soi, ressenti comme une sorte de « réseau zombie » d’essence anti-démocratique, voire totalitaire parce que totalisant. Lequel prospère davantage par la terreur qu’il inspire à voter pour les autres que par les raisons qu’il y aurait à voter pour lui-même. Et c’est de cela dont le peuple souverain dans sa tumultueuse diversité nous parle aujourd’hui : il n’en veut plus car il se sent dépossédé de sa propre souveraineté du fait du fonctionnement-même de ce contre-système totalitaire teinté de terrorisme soft [terrorisme : emploi de la terreur à des fins politiques] au sein des institutions démocratiques et en opposition à elles.

    Le Parti Socialiste se donne vocation à incarner à lui seul la quasi-exhaustivité des courants qui traversent toute la société politique. Depuis le courant réformiste le plus avancé représenté par la gauche socialiste de Lienemann ou Hamon, jusqu’à la droite libérale la plus assumée à travers Moscovici ou Sapin, en passant par toutes les nuances du centre européo-atlantiste, ne manquent que les courants d’extrême gauche [encore qu’y existe un courant écologiste « décroissant » anti-productiviste assez peu connu] ainsi que d’extrême-droite [malgré quelques emprunts idéologiques récents de Valls au courant racialiste et autoritaire], tous les courants idéologiques y sont présents. A un tel point de confusion et de mélange des contraires, le parti Socialiste n’est plus un parti politique mais un système politique global à lui tout seul, qui ne peut fonctionner qu’en concurrence avec le système démocratique et à son détriment.

    Si par pure hypothèse il parvenait à réaliser pleinement son projet politique et que tous les électeurs appartenant aux divers courants dont il se réclame votaient pour lui, il serait une sorte de parti unique de type nouveau, au sein même du système démocratique. Ce positionnement est unique dans le paysage politique français, même si d’autres formations comme l’UMP, le Front de gauche bien sûr [et singulièrement le PCF ou ENSEMBLE en son sein] ou le FN constituent également des sortes de fédérations de courants politiques assez disparates, mais dont on dira pour faire court que ce qui les unit est plus fort que ce qui les oppose. En tout cas ne vise pas à occuper la totalité du spectre politique en brouillant les clivages qui sont la condition même de la compréhension des enjeux par le citoyen et donc de la validité de son choix démocratique.

    Cette situation visant à l’hégémonie pose un problème démocratique majeur dans la mesure où elle prive l’électeur socialiste de la maîtrise de son vote ou plus précisément de la connaissance préalable de ce que va être la réelle portée de sa participation au suffrage. Ce qui est évidemment consubstantiel à son vote lui-même dont il se trouve ainsi dépossédé de fait. Pour quoi en effet a voté l’électeur socialiste des dernières élections présidentielles et législatives qui ont vu la victoire des candidats socialistes ? Pour le Traité transatlantique ou contre ? Pour la défense des intérêts des salariés ou contre ? Pour l’autorisation de l’exploitation du gaz de schiste ou contre ? A vrai dire, il a voté à la fois pour et contre ces différentes orientations puisqu’elles cohabitaient de façon tout à fait explicite et assumée dans les divers supports politiques du Parti Socialiste.

    C’est donc à tort que l’on parle de trahison de la part du Parti Socialiste puisque par essence même son mode de fonctionnement le met à l’abri de ce genre d’accusation. Si l’électeur se sent trahi, c’est parce qu’il a donné à son vote une signification qu’il n’avait pas. D’autres électeurs ont fait le même choix électoral pour des raisons opposées tout aussi bien documentées. Ce qui est en cause ici n’est donc pas la démagogie ordinaire qui consiste à se faire élire sur les positions pour en suivre d’autres après coup, mais de façon beaucoup plus subtile de se faire élire sur des positions contradictoires [des leurres en fait] pour garder la maîtrise de ses choix politiques une fois élu tout en conservant artificiellement son influence.

    Cette distinction est importante car dans le premier cas le fonctionnement normal du système démocratique offre quelques possibilités de dénoncer cette forme de duplicité assez grossière qui consiste à ne pas respecter ses promesses. On peut imaginer que dans un tel contexte, les élections suivantes permettront de sanctionner l’incivisme d’une telle pratique. C’est très différent dans le second cas dans la mesure où l’électeur n’est plus la victime de l’agissement frauduleux, mais son co-auteur en quelque sorte dont la confiance n’a pas été véritablement abusée mais a d’une certaine manière consenti à la fraude. Dans cette dernière configuration, le risque de sanction se trouve considérablement atténué puisqu’au final ce que l’électeur socialiste littéralement piégé se proposerait de sanctionner dans une telle conjoncture, c’est lui-même et son manque de discernement. D’une certaine façon, l’électeur socialiste trompé n’est plus ici le chômeur révolté par son licenciement, mais le demandeur d’emploi sommé de mettre rapidement fin à une situation dont il est la cause. Et cela ne concerne pas que l’électeur socialiste car l’ensemble du corps électoral subit les conséquences de la position hégémonique politiquement injustifiée et mal acquise du Parti Socialiste, qu’il est contraint d’accepter.

    Cela permet au Parti Socialiste de disposer depuis désormais trop longtemps d’une force électorale totalement disproportionnée en regard de ce que représentent réellement ses orientations politiques de soutien aux seules couches moyennes supérieures de la société, intéressées au développement du capital financiarisé. Capital financiarisé illégitime dont elles tirent un profit lui-même illégitime, ne serait-ce qu’en regard de leur utilité sociale effective. Cela occasionne en outre des dégâts collatéraux considérables en termes de désaffiliation d’avec le système démocratique de pans entiers de l’électorat abstentionniste, ainsi que d’assignation d’autres secteurs massifs de l’opinion au vote d’extrême-droite. Au final, la manière dont le Parti Socialiste exerce son influence politique provoque bien au-delà de l’enrichissement parasitaire d’une partie extrêmement minoritaire de la population au détriment du grand nombre, une dévastation tout à fait considérable et peut-être plus grave encore du contexte dans lequel s’exerce la volonté du souverain. Jusqu’à mettre en péril les bases mêmes de la manifestation de cette volonté.

    On voit bien dès lors que notre démocratie ne permet pas de réguler ce type de dysfonctionnement qui lui est terriblement préjudiciable et la menace dans ses fondements mêmes, précisément parce qu’elle ne dispose pas dans ses mécanismes immunitaires naturels et spontanés des moyens de le corriger. En fait elle est relativement bien armée contre ses opposants qui cherchent frontalement à la détruire, mais paraît très vulnérable face aux manœuvres insidieuses de ses adversaires qui cherchent à lui substituer ce qu’il est désormais convenu d’appeler la « dictamolle ». Elle a besoin dans cette dernière situation plus qu’en toute autre que les citoyens lui vienne en aide pour lui permettre de dépasser les processus d’essence totalitaire encore une fois, qui en minent le fonctionnement au service du peuple souverain. C’est très exactement ce qui est en train de se passer en toile de fond des controverses politiques du moment.

    C’est donc sans aucunement forcer le sens des mots, au nom des valeurs civiques dont il est dépositaire qu’il appartient à l’électorat de notre gauche de mettre définitivement entre parenthèses son inclination naturelle et irréfléchie à opter pour ce qu’il tient pour le moindre mal en votant socialiste. Alors-même que du point de vue le plus élevé auquel on se place ici, celui de la préservation de la forme républicaine des institutions, il s’agit de la pire des choses. Une fois qu’à la faveur de quelques purges électorales convenablement quoique sévèrement administrées, le Parti Socialiste avec les sortes d’androïdes post modernes qui le dirigent sera clairement recadré sur l’échiquier politique comme un parti de centre gauche [ou de centre droit ainsi qu’il en décidera] moyennement influent, la vie démocratique normale pourra reprendre son cours.

    Cela pourra éventuellement occasionner un trouble passager avec l’élection inattendue d’un certain nombre de municipalités de droite, plus ennuyées que nous-même de cette occurrence vu leur totale impréparation. On s’en remettra dès le prochain coup, avant qu’elles n’aient rien pu faire de fâcheux du fait de leur incurie et de notre vigilance, en faisant élire les nôtres une fois le libre jeu démocratique restauré. Et avec l’appui des anciens électeurs socialistes de surcroît, qui auront eu le temps de se désaliéner des manipulations dont ils faisaient l’objet.

    Le libre jeu démocratique en réalité, n’est rien d’autre que le pluralisme : l’existence de formations politiques à peu près cohérente qui représentent les diverses familles politiques. Et par là-même donnent le choix à tout un chacun d’opter simplement et efficacement pour celle qui a sa faveur. Puis de s’incliner le cas échéant devant la décision majoritaire. Sans usurpation d’identité, ni fausse monnaie, ni tromperie sur la marchandise, ni abus de bien social, ni trafic d’influence. En un mot dans la confiance dans les institutions démocratiques de son pays, dont la ruine provoque abstention à gauche et radicalisation à droite.

    Le trouble sera vraisemblablement plus durable pour le Parti Socialiste dont les cadres désireux de continuer à jouer un rôle politique opterons quant à eux en fonction des places disponibles, qui pour l’UMP, qui pour l’UDI ou le MODEM, qui pour Le Front de Gauche où la Gauche socialiste sera naturellement reçue avec enthousiasme. L’effondrement du Parti socialiste qui tenait enfermés nos camarades depuis tant d’années, leur faisant subir humiliations et mauvais traitements, les libérera de la prison mentale qui les empêchait jusqu’alors d’assumer leur émancipation morale et politique. Gérard FILOCHE sortira de la cave où il était reclus depuis bientôt quarante ans, brisant ses chaînes en appelant au combat de la gauche, les sanglots dans la voix comme il le fait si bien, acclamé par ses amis du Parti de gauche bouleversés après une si longue séparation ! Marie-Noëlle pour sa part, en pleine félicité, prononcera ses vœux dans la paix intérieure enfin retrouvée. A tous, Jean-Luc donnera l’absolution laïque et citoyenne.

    Il n’y aura aucune perte d’influence pour la gauche suite à l’effondrement électoral du Parti Socialiste que nous aurons ainsi sciemment provoqué. Bien au contraire, ses électeurs droitiers trouveront sans peine aucune à se reclasser dans l’une ou l’autre des familles politiques d’une droite désormais libérée de la concurrence déloyale qui lui était faite. Quant aux électeurs de gauche du Parti Socialiste, sa disparition sera sans effet sur leur attachement aux valeurs qu’il instrumentalisait jusqu’alors à leurs dépens.

    On comprend bien les deux raisons principales pour lesquelles les organisations politiques de notre gauche, ni le Front de gauche lui-même, ne peuvent appeler clairement à faire battre les socialistes : d’abord nos propres électeurs sont les premiers convaincus de la nécessité de reporter leur suffrage sur le candidat socialiste au deuxième tour : 80% aux Présidentielles de 2012 semble-t-il et il est probable que si notre candidat n’avait pas appelé [fort justement en sa qualité de candidat] à battre Sarkozy, les choses n’auraient pas été si différentes. La situation a vraisemblablement changé depuis lors, ce qui nous conforte dans l’idée que le moment est maintenant venu de commettre et d’encourager à l’acte salvateur. Ensuite, un tel mot d’ordre visant à faire battre les socialistes irait à l’encontre de notre objectif de gagner à notre cause une partie de l’électorat socialiste en le braquant aussi irrémédiablement qu’inutilement.

    Ces arguments sont tous parfaitement recevables : les organisations de l’autre gauche [et encore plus leurs listes aux prochaines municipales] sont dans une stratégie politique compréhensible et rationnelle, soumise à des contraintes inhérentes aux rapports de forces. Mais le fait que nos organisations n’appellent pas explicitement, pour des raisons légitimes qui leur sont propres, à une telle redistribution des cartes, ne nous empêche nullement d’y pourvoir par nous-mêmes. Dès lors que nous en arrivons au constat que l’élimination du Parti socialiste du paysage politique est une exigence démocratique en soi. Avec la conscience qu’un tel débarras ne pourra au demeurant que favoriser l’avènement d’une autre politique. Si tant est qu’il n’en est pas la condition-même dans le moment historique que nous vivons.

    Yann LARGOEN

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