• Les avancées à reculons de Vincent Peillon

    Mercredi 13 Mars 2013

    par François Cocq

    Peillon A l’occasion de l’examen par le Parlement du projet de loi d’orientation scolaire, nombreux sont ceux qui s’interrogent et se disent que tout ce qui peut être pris est bon à prendre. C’est à voir. Décryptage.

    « A dire vrai, l’examen du projet de loi de refondation pour l’école qui démarre lundi 11 mars pourrait constituer le premier débat « normal » de la législature, entre une majorité globalement rassemblée et une opposition pas franchement remontée. ». Voilà la présentation que faisait le journal Le Monde dans son édition du 11 mars de l’arrivée au Parlement de la loi de refondation scolaire. Pour le journal de référence de l’oligarchie, un débat « normal » est donc un débat où la confrontation d’idées est absente, où le consensus est sacralisé. La loi d’orientation Peillon, qui fait discussion à défaut de faire débat, a donc tout pour leur plaire.

    Les lecteurs avertis du journal auront constaté que le quotidien en profite pour glisser l’une des manipulations perfides dont il est coutumier : le Front de Gauche serait dans la majorité tandis que le consensus trouvé entre le parti socialiste et l’UMP autour du TSCG Sarkozy-Merkel serait balayé d’un revers de main afin de reconstruire artificiellement un échiquier politique binaire.

    Pourtant, ces deux lignes qui décrivent les réactions à la loi d’orientation sont aussi éclairantes que toutes les analyses : à travers l’acquiescement des uns et l’assentiment tacite des autres, la loi Peillon apparait de fait pour ce qu’elle est : une occasion manquée, un renoncement et un prolongement. Voilà le prix à payer pour que toute la classe des bien-pensants y retrouve son compte !

    Le non-dit initial qui permet de les contenter tous, c’est de ramener l’évolution de l’école publique au seul quinquennat sarkozyste. De fait, exit la déferlante libérale qui s’est abattue depuis des années sur l’institution scolaire et qui a remis en question jusqu’aux missions mêmes que la Nation doit affecter à son école. Partant de là, tout ce qui précède les agressions du précédent quinquennat est entériné. Ainsi en est-il du principe d’égalité des chances qui chapeaute tout l’édifice et que les libéraux ont réussi à faire avaler depuis une vingtaine d’années aux sociaux-démocrates. Ainsi en-est-il du socle commun de compétences institué par la loi d’orientation Fillon de 2005 (sous Jacques Chirac) qui segmente les savoirs et les connaissances entre ce qui serait suffisant pour la plèbe et ce qui est nécessaire pour les autres et institue ce faisant une école à plusieurs vitesses. Il en est jusqu’aux suppressions de postes pour lesquelles le référentiel demeure le début de l’ère Sarkozy. Là où Sarkozy avait supprimé 84.000 postes d’enseignants, Vincent Peillon se glorifie de remettre 60.000 postes de personnels divers et variés. Ce n’est pas une loi de refondation, c’est une correction à la marge des cinq dernières années !

    Pas étonnant dans ces conditions que la droite, gênée par le bilan sarkozyste mais avide d’assouvir les desiderata du patronat, fasse profil bas. Car tout le corpus des libéraux et du Medef est validé : disparition des qualifications, adéquationnisme au travers de la régionalisation de l’enseignement professionnel, apprentissage plutôt que lycée professionnel…Les chasseurs de « mammouths » pavoisent avec des pans entiers de l’éducation nationale qui se retrouvent en passe d’être externalisés : orientation confiée aux régions via l’acte 3 de la décentralisation, activité péri-scolaires confiées à des collectivités locales sans le sou…Partout les officines privées fourbissent leurs armes pour monter à l’assaut d’une forteresse dont on a abaissé le pont levis.

    Dans une période où la lutte des classes est exacerbée et se révèle au grand jour, la droite se voit encouragée et ne peut faire moins qu’essayer de pousser son avantage plus loin encore. C’est ce qu’elle fait quand elle propose de mettre en place ce qu’elle n’a pas osé imposer lorsqu’elle était aux commandes. Pour faire bonne figure, les libéraux nous ressortent ainsi à l’occasion du « débat » parlementaire leur école fondamentale, leurs attaques contre le temps de travail des enseignants, leurs élucubrations visant à faire disparaître le bac comme premier niveau de qualification… Voilà où conduit le ralliement aux fondamentaux de l’adversaire. Non Monsieur Peillon, on ne mange pas dans la main qui veut vous étrangler !

    Sauf si le nœud coulant est devenu le sport national. C’est à se le demander lorsque l’on constate que Vincent Peillon profite de l’occasion pour détricoter un peu plus l’existant. Que sa loi d’orientation revienne sur la formation des enseignants qui avait été purement et simplement éradiquée par la droite, c’est bien la moindre des choses. Mais qu’au gré de cette reconstruction il en profite pour imposer les emplois d’avenir dans l’éducation nationale, voilà qui est fort de café. Non seulement il dénature ainsi l’ambition des pré-recrutements qui devaient permettre de concilier élévation du niveau de qualification pour les enseignants et garantie d’accès pour les étudiants issus de tous les milieux sociaux, mais il s’attaque au statut des enseignants déjà fragilisé par ses prédécesseurs en faisant rentrer dans l’école des statuts de droit privé toujours plus précaires. Avec Peillon, inexpérience se conjugue désormais avec précarité !

    Quant à l’enseignement privé, il symbolise à lui-seul le statu quo bienveillant. Le gouvernement s’est bien gardé de revenir sur la loi Carle qui organise le financement des établissements privés du premier degré. Lorsqu’il s’est agi de déployer les postes, le privé était à la table. De même pour la réforme des rythmes scolaires, Peillon y va de son aumône pour octroyer aux établissements privés qui appliqueront sa réforme un financement dont ils devraient être légitimement exclus au regard du caractère propre qu’ils revendiquent si ardemment.

    Dès lors, il est indécent de faire comme si nous n’avions pas vu la logique de ce texte. Amender des mesurettes, c’est en avaler la logique même. Il ne saurait être question sur un enjeu aussi structurant que l’éducation de se contenter de faire trois pas en avant sur un tapis roulant qui nous entraîne inexorablement en arrière. Il faut entendre ceux qui de bonne foi veulent « sauver les meubles » et prendre ce qui peut être pris. Mais pour en faire quoi ? Dans quel système éducatif ? Avec quelles finalités ?

    Ce qui est fait le caractère républicain de notre école, c’est sa globalité : l’école est en prise avec les objectifs de sa période ! Comment aujourd’hui concevoir une « refondation » de l’école sans s’arrêter quelques instants sur les besoins pour notre Nation ? Dans ce projet de loi, pas un mot sur la nécessaire élévation des qualifications dont notre pays a besoin pour engager la transition énergétique. Pas un mot non plus sur l’objectif d’émancipation alors que résonne tout autour de nous les aspirations populaires, les marées citoyennes, les révolutions démocratiques. Pourtant, le bruit des bottes des conservateurs et fascistes en tous genres claque lui aussi sur le pavé, eux qui ne rêvent que de s’appuyer sur l’ignorance et la peur des peuples. La grandeur humaniste de notre école permet de dégager chaque individu des carcans obscurantistes, et partant de là permet l’émancipation de tout le genre humain. Refonder l’école, cela ne peut pas être se livrer à des comptes mesquins d’apothicaires et s’interdire de froisser les puissants.

    Si cette loi avait été une loi de refondation, si elle avait rompu avec l’architecture libérale de notre système scolaire, si elle avait été mise en prise avec la société, nous aurions pu juger des avancées et de leurs limites dans un mouvement où la pente aurait été prise. Malheureusement, on en est loin. Derrière le vernis, la loi d’orientation Peillon reste celle de tous les renoncements. Elle est celle de la résignation au vieux monde.

    François Cocq

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