• 28.12.2014 

    Dans son édition datée des 25 et 26 décembre 2014, Le Monde a décidé de parler de Syriza et Podemos, deux partis politiques de la gauche radicale, respectivement grec et espagnol, qui sont aux portes du pouvoir dans leur pays. Neutre et objectif, Le Monde titre sobrement son édition : « Grèce, Espagne : l’envolée de la gauche radicale affole l’Europe ». Signe de cet « affolement », Jean-Claude Juncker, le nouveau président de la Commission européenne, a déclaré en gros qu’il préfèrerait que Syriza n’arrive pas au pouvoir en Grèce. Un événement sur lequel Jean-Luc Mélenchon a d’ailleurs directement interrogé l’intéressé dans une question à la Commission européenne.

    L’accroche de « une » et l’article qui concernent Syriza et Podemos sont un exemple typique du militantisme politique dont fait régulièrement preuve Le Monde à l’égard des forces politiques antilibérales. Exit, donc, la prétendue « neutralité » dont se revendique le journal : ici, on a affaire à un discours politique sur deux partis étrangers. La rhétorique d’opposition à ces partis s’appuie sur trois grands éléments : premièrement, une diabolisation de Syriza et Podemos, qualifiés de partis « extrémistes » et limite xénophobes ; deuxièmement, une ridiculisation des électeurs de ces partis ; troisièmement, l’affirmation que l’extrême droite est « plus anti-système » que la gauche radicale. L’ensemble s’appuie sur la parole d’« experts » dont on verra qu’ils ne sont pas neutres politiquement.

     

    Syriza et Podemos sont des partis dangereux

    Des partis « extrémistes »

    Alors que le Monde titre sur la gauche « radicale », adjectif qui correspond à peu près au positionnement politique objectif de Syriza et Podemos, l’expression « extrême gauche » est ensuite fréquemment utilisée. On compte pas moins de six occurrences de cette expression, laquelle est mise en opposition avec celle de « gauche modérée », c’est à dire la droite version Hollande.

    L’utilisation du terme « extrême » pour qualifier la gauche radicale est un classique du genre. Il permet le plus souvent de mettre sur le même plan extrême droite et gauche radicale. Il va d’ailleurs généralement de pair avec un autre, qui a le même objectif : le « populisme ».

    Des partis « populistes »

    « Populisme, le fantasme des élites », de Benoît Schneckenburger. Cliquez sur l'image pour obtenir plus d'informations.

    « Populisme, le fantasme des élites », de Benoît Schneckenburger. Cliquez sur l’image pour obtenir plus d’informations.

    Un autre terme fréquemment utilisé pour discréditer la gauche radicale est ici employé. Il s’agit du mot « populiste », qui vise généralement à mettre sur le même plan l’extrême droite et la gauche radicale. C’est exactement ce qui est fait ici. Je ne résiste pas à l’envie de citer entièrement le passage où est employé le mot « populisme » : il constitue un exemple typique de mise sur le même plan de l’extrême droite et de la gauche radicale. Jugez plutôt :

    « Ce populisme prend des formes diverses. Lorsque la critique des “élites bruxelloises” se traduit dans les pays du Nord (Suède, Danemark, Finlande) par un populisme d’extrême droite, elle se manifeste au Sud par cette gauche radicale qu’on croyait enterrée. »

    Vous l’avez compris : gauche radicale = extrême droite = populistes. La ficelle est tellement grosse et usuelle qu’on en a fait un livre que je vous recommande vivement.

    Des partis « eurocritiques » qui « affolent l’Europe »

    Autre élément du discours politique développé par Le Monde : la dangerosité que constitueraient Syriza et Podemos pour l’Union européenne. Les lecteurs du Monde, dont chacun sait qu’ils sont des gens raisonnables, « pragmatiques », et (donc) proeuropéens doivent en avoir des sueurs froides. Voyez plutôt les expressions utilisées (c’est moi qui souligne) :

    « L’envolée de la gauche radicale affole l’Europe » / « Jean-Claude Juncker a résumé les angoisses des institutions européennes » / « Les gauches radicales inquiètent Bruxelles » / « L’Europe en a des sueurs froides » / « À Bruxelles, cette escalade fait frémir » / « Le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, ne s’est pas privé de faire part de ses craintes »

    On le voit : le champ lexical relatif à la peur est ici utilisé : « affoler », « angoisses », « inquiéter », « sueurs froides », « frémir », « craintes ». L’ensemble donne l’idée de partis effrayants, dangereux.

    Des partis limite xénophobes

    Conséquence quasi « logique » des trois points précédents pour les médiacrates : ces partis sont limites xénophobes. En tout cas, ils flirtent un peu avec ça. En tout cas, il y a quelque chose de louche. Enfin bref, ils sont xénophobes au fond, mais juste ils n’osent pas trop.

    Il est par exemple écrit que « L’antigermanisme est un moteur fort de ces mouvements ». Ainsi, alors qu’Alexis Tsipras et Pablo Iglesias (respectivement leaders de Syriza et Podemos) critiquent, comme le fait Jean-Luc Mélenchon, l’Allemagne en tant que puissance dominante en Europe, qui impose ses vues sur l’Union européenne toute entière, le Monde y voit un « antigermanisme ».

    Mais la journaliste du Monde va encore plus loin. Elle écrit : « L’ancrage historique de la gauche l’empêche de tenir un discours nationaliste ou xénophobe. (…) Cette position priverait-elle la gauche radicale d’une partie des électeurs, attirés par les positions plus dures de l’extrême droite ? “Elle vit dans le mythe du changement de l’Europe” se désole Aurélien Bernier (…), qui aimerait que le mouvement se positionne plus radicalement contre l’UE et sa monnaie ». Ainsi, un glissement sémantique important est ici opéré : une critique de l’UE et de sa monnaie devient « un discours nationaliste ou xénophobe ». Le manque de transition est sidérant.

    Et la journaliste de conclure sur ce thème, en fin d’article : « Pour durer, certains imaginent que les partis de la gauche radicale pourraient bien, tôt ou tard, être tentés de flirter avec les idées nationalistes. Le Front national ne s’est-il pas rapproché de l’extrême gauche sur les sujets économiques ? M. Reynié redoute ce scénario ». La boucle est bouclée : à la fin, extrême droite = gauche radicale.

    Les électeurs de Syriza et Podemos sont un peu cons

    Pour jeter le discrédit sur Syriza et Podemos, Le Monde passe par les électeurs de ces partis. Alors qu’il s’agit de formations politiques récentes (Syriza a été créé en 2004 et Podemos en 2014), alors que ces deux formations sont données en tête des sondages, il s’agit ici de ringardiser leurs électeurs et de les faire passer pour des gens qui agissent par pulsions plutôt que par réflexion.

    Des électeurs « épuisés »

    Ainsi, Le Monde nous parle des « électeurs épuisés par des années de crise économique », des « électeurs épuisés par l’austérité » et des « électeurs épuisés par une rigueur imposée “d’en haut” ». J’indique ici à la journaliste qui a écrit l’article qu’il existe de nombreux synonymes pour remplacer le mot « épuisé ». Quoi qu’il en soit, on voit l’idée : on n’est plus très rationnel quand on est fatigué au point d’avoir juste envie de dormir. Du coup, on est prêt à s’en remettre à n’importe qui qui nous proposerait un peu de repos ou de répit. C’est ce que font Syriza et Podémos lorsqu’ils disent qu’il faut que la souffrance du peuple s’arrête. Mais évidemment, c’est irrationnel de ne pas vouloir souffrir…electeurs epuises

    Des électeurs has been

    Non seulement voter pour Syriza ou Podemos c’est réaliser l’acte irrationnel d’une personne épuisée, mais en plus, c’est ringard. Comme vous le savez sûrement, la gauche radicale, c’est dépassé. Maintenant, la modernité, c’est « les réformes structurelles », « la compétition », « la réduction des déficits publics ». Cette politique libérale qui nous mène dans le mur depuis des décennies sans avoir jamais fait la preuve de son efficacité (à part pour augmenter le capital des plus riches), c’est ça, la modernité.

    Du coup, nos « électeurs épuisés par une rigueur imposée “d’en haut” depuis Bruxelles », sont aussi « nostalgiques d’un État-providence généreux ». Mais ce n’est pas tout, car cette gauche radicale dont ils se réclament, « on [la] croyait enterrée ». Voilà voilà. Autre chose ? Oui : « Un quart de siècle après l’effondrement du bloc communiste, l’ascension de ces partis d’extrême gauche (sic) peut prendre des allures anachroniques ». Mais heureusement, nous dit-on, « nombre de ces mouvements, tels Podemos, se sont formés récemment, lâchant les thèmes les plus obsolètes » ; bon, il en reste encore quelques uns comme le souhait d’une société plus juste, la recherche de l’égalité, la fin de la misère, l’augmentation des salaires, les nationalisations, etc. Bref, des idioties d’utopistes anachroniques. 

    Syriza et Podemos sont des révolutionnaires en peau de lapin

    Si un lecteur du Monde doit être terrorisé par ces deux dangereux partis qui font trembler monsieur Juncker et lui donnent des sueurs froides pendant son sommeil, nombre de gens doivent aussi se dire à la lecture de la première partie de l’article, que finalement, Tsipras et Iglesias sont sacrément cools : ils renvoient Merkel dans ses cordes, ils défendent l’État social, ils ne font pas de combines avec les partis du pouvoir… Bref, on pourrait voter pour des gens « comme eux » en France, genre Jean-Luc Mélenchon.

    Sur l'Europe, nous avons publié un livre qui donne des sueurs froides à Juncker : « Le Cauchemard européen. Comment s'en sortir ! », par Matthias Tavel. Cliquez sur l'image pour obtenir plus d'informations.

    « Le Cauchemard européen. Comment s’en sortir ! », par Matthias Tavel : le livre qui donne des sueurs froides à Juncker. Cliquez sur l’image pour obtenir plus d’informations.

    Du coup (et c’est un coup de force d’un point de vue rédactionnel), toute la fin de l’article consiste à dire en substance que ces partis apparemment dangereux pour le système ne le sont pas tant que ça et que, si on veut vraiment tout envoyer promener, il faut voter extrême droite. Concrètement, ça donne ça : « À écouter les experts (sic), cette gauche radicale n’est d’ailleurs pas si affolante qu’on l’imagine. En dépit d’un discours virulent contre Bruxelles, ces partis ne proposent pas, contrairement à l’extrême droite, de “détruire l’Europe de l’intérieur” ». On le voit, en vrai, si on veut tout envoyer promener, il faut plutôt voter pour l’extrême droite, c’est plus sûr.

    D’ailleurs, nous dit-on, la gauche radicale ne mène à rien. « De fait, l’affaire “Luxleaks”, qui a révélé que l’actuel président de la Commission, Jean-Claude Juncker, avait orchestré un vaste système d’évasion fiscale au Luxembourg lorsqu’il en était Premier ministre, a beau avoir ulcéré les députés de la GUE, seuls les europhobes de droite (une centaine d’élus) sont parvenus à rassembler suffisamment de voix pour déposer une motion de censure contre lui ». Ce que ne dit pas l’article, en revanche, c’est que la GUE a bien déposé une motion de censure contre Juncker mais que celle-ci n’a pas reçu l’appui du PS et des Verts, ce qui a empêché qu’elle soit soumise aux votes. D’autre part, l’article ne dit pas que Jean-Luc Mélenchon, député européen, est en pointe sur l’affaire Luxleaks et a posé une question à la Commission européenne sur ce point le lendemain de la sortie de l’affaire.

    Comble de cet article du Monde, le discours d’une communiste est dévoyé pour appuyer l’argument que l’extrême droite est plus efficace que la gauche radicale contre le système. Si ses citations avaient été placées au début, l’ensemble de l’article aurait été différent mais, placées à la fin, elles viennent appuyer l’idée qu’il vaut mieux voter extrême droite pour tout envoyer péter. Anne Sabourin déclare ainsi que « Syriza n’est pas un parti dangereux » et que « les marchés vont être mécontents, c’est sûr ». Elle déclare aussi que « la droite populiste a plus d’écho, car son discours est plus simple, voire simpliste »… bilan des courses, que fait la journaliste ? Elle prend la première partie de la phrase pour titrer une section : « La droite populiste a plus d’écho ». Conclusion : Syriza et Podemos sont des révolutionnaires en peau de lapin et de toute façon, c’est l’extrême droite qui va gagner. D’ailleurs, c’est un expert qui le dit : M. Bertoncini. Oh, mais il vient d’où cet expert ? C’est ce qu’on va voir maintenant.

    Des « experts » libéraux pour parler de la gauche radicale 

    Hors Anne Sabourin, qui est partie prenante dans un discours sur la gauche radicale puisqu’elle est membre du PCF, trois « experts » et un auteur sont interrogés. L’auteur, c’est Aurélien Bernier, qui a écrit un livre intitulé La gauche radicale et ses tabous. J’ai montré plus haut comme son point de vue était dévoyé pour appuyer l’idée que Syriza et Podemos sont des partis limite xénophobes, je ne reviens pas dessus. De même, j’ai montré comment les propos d’Anne Sabourin étaient détournés de leur but initial. En revanche, pour les trois « experts », aucune mise à distance de leurs propos. Mais qui sont-ils ?

    Dominique Reynié, directeur de la Fondapol

    Il y a d’abord Dominique Reynié, le directeur de la fondation pour l’innovation politique (que vous connaissez peut-être sous le nom « Fondapol »). C’est lui qui parle de « la poussée populiste qui gagne le Vieux Continent ». Il est de ceux qui mettent dans un même sac l’extrême droite et la gauche radicale sous l’appellation « les populistes ». Regardons donc de plus près qui est ce monsieur.

    La Fondapol se décrit elle-même sur son site internet comme « une fondation libérale, progressiste et européenne ». Donc déjà, les antilibéraux eurocritiques, qu’ils soient progressistes comme Syriza et Podemos ou qu’ils ne le soient pas, on peut faire une croix dessus. Toujours dans sa présentation, la Fondapol écrit : « La Fondation ne saurait limiter son activité à l’observation. Si elle doit prendre une part active au débat intellectuel, elle doit, à la différence d’un centre de recherche universitaire, être capable de formuler des propositions et des recommandations innovantes à l’adresse des acteurs politiques, économiques et sociaux, tant publics que privés, français et européens ». On le voit ici : la Fondapol est donc autant un acteur du « débat intellectuel » qu’un acteur de type lobbyiste qui cherche à imposer sa vision du monde à des acteurs politiques.

    Un peu plus loin dans cette présentation, on trouve une section « Valeurs », ainsi rédigée : « Après l’effondrement du communisme, les gauches européennes sont confrontées à une impasse doctrinale. La globalisation économique et le vieillissement démographique affectent profondément le modèle social-démocrate, menacé de disparition. Il faut accepter une refonte du système social français. Pour autant, les écueils de la gauche ne favorisent pas le triomphe de la droite libérale. On assiste ainsi à une résurgence des discours hostiles à l’économie de marché et à de nouvelles crispations nationalistes, témoignant pour les droites européennes d’une crise d’identité qui appelle un profond travail de rénovation intellectuelle ». Je crois que c’est assez limpide pour que je ne commente pas davantage.

    Mais ce n’est pas tout ! Car la Fondapol a un blog ! Et il est gratiné ! Parmi les derniers articles publiés, on trouve par exemple : « Réformistes de tout bord politique, unissez-vous derrière la “Loi Macron” ! », la fameuse loi qui veut nous faire travailler la nuit et le dimanche pour faire plaisir aux Chinois, à Merkel ou à Gattaz (on finit par ne plus trop savoir). Sur ce blog, on trouve aussi un article intitulé : « “Égalité” : LE totem français fait son grand retour escorté de tentations dangereuses », un article dans lequel est critiqué un Manuel Valls un peu trop social. Oui oui, ils ne tremblent pas des genoux à la Fondapol. Un dernier exemple croustillant ? Volontiers. Dans un article intitulé « La “fascination Mélenchon” : jusqu’à quand ? », le « phénomène Mélenchon » est qualifié d’« entreprise liberticide servie par une rhétorique d’intimidation ».

    Et c’est au directeur de la Fondapol qu’on a demandé de parler de Syriza et Podemos.

    Yves Bertoncini, directeur de l’institut « Notre Europe »

    Autre « expert » interrogé : Yves Bertoncini, directeur de l’institut « Notre Europe ». Commençons par le commencement : l’institut « Notre Europe » porte en réalité un nom plus long : il s’agit de l’institut « Notre Europe – Jacques Delors ». C’est même dans leur logo, en page d’accueil de leur site. Pour faire court, l’institut Jacques Delors est au PS ce que la Fondapol est à l’UMP, le tout sur une ligne eurobéate et libérale.

    Dans les instances dirigeantes de l’institut Jacques Delors (Conseil des garants, Conseil d’administration et Comité européen d’orientation), on trouve donc de nombreux « socialistes » : Martine Aubry, Jacques Delors, Pascal Lamy (qui a aussi été directeur de l’OMC) ou encore Pervenche Bérès (députée européenne PS qui a saboté la lutte contre la directive détachement des travailleurs). On y trouve aussi une perle : la célèbre Laurence Boone ! Mais si, souvenez-vous : après avoir été chef-économiste dans la banque Barclays puis chef-économiste Europe chez Bank of America Meryl-Lynch, elle a été nommée conseillère économique de François Hollande en remplacement… d’Emmanuel Macron, nommé ministre. On notera enfin que l’institut est financé par des institutions publiques françaises et européennes, mais aussi, entre autre, par GDF-Suez, entreprise du CAC 40.

    Faisons court : que peuvent penser des sociaux-démocrates qui s’aperçoivent que des forces de la gauche radicale les écrabouillent complètement en Grèce et en Espagne ? Pas beaucoup de bien, évidemment. Monsieur Bertoncini, interrogé sur Podemos et Syriza est donc de ceux qui disent que ces partis n’ont pas d’avenir et qu’au final, c’est l’extrême droite (renommée ici « droite radicale ») qui va gagner : « Avec l’atténuation de la crise et de l’austérité, le mouvement refluera. La droite radicale a, elle, un ancrage plus structurel lié au malaise identitaire ». Évidemment, « l’atténuation de la crise et de l’austérité » viendra comme par magie.

    Jean-Yves Camus, spécialiste de l’extrême… droite

    extrémismes

    « Extrémismes en France, faut-il en avoir peur ? », de Jean-Yves Camus. Regardez bien les post-it sur la couverture. Cliquez sur l’image pour l’agrandir.

    Dernier « expert » interrogé : Jean-Yves Camus. Le seul qui ne parle pas en tant que directeur de fondation machin-chose mais qui parle en tant que spécialiste d’une question donnée. Problème : son domaine de spécialisation, c’est l’extrême droite. Pourquoi, donc, être aller chercher un spécialiste de l’extrême droite pour parler de mouvements comme Syriza et Podemos ?

    La réponse est assez simple : Jean-Yves Camus est de l’un de ceux qui mettent plusieurs choses différentes sur le même plan. Pour preuve son livre, publié en 2006 : « Extrémismes en France : faut-il en avoir peur », qui affiche sur sa couverture plusieurs post-it : « extrême gauche », « communautarisme », « islamisme », « intégrisme », « extrême droite »… Difficile de faire plus gloubi-boulga. Pour preuve aussi, son interview dans Metronews à l’occasion de notre marche pour une révolution fiscale du 1er décembre 2013.

    Je ne connais pas bien l’auteur, n’ayant rien lu de lui. Il m’est donc difficile de me faire une opinion objective sur ses orientations politiques. Toutefois, on peut quand même s’interroger sur les raisons qui ont poussé la journaliste du Monde à interroger un spécialiste de l’extrême droite française pour parler de mouvements politiques de la gauche radicale grecque et espagnole…

    Conclusion 

    Une nouvelle fois, Le Monde réalise un travail consciencieux de sape de mouvements de la gauche radicale. Nous en avons fait les frais à plusieurs reprises, notamment avec une diabolisation en règle de Jean-Luc Mélenchon la veille de notre marche du 5 mai 2013 pour la 6e République. Comme toujours, ce sont de vieilles techniques qui sont utilisées : d’abord, la diabolisation de mouvement qui sont « inquiétants » et « extrêmes » ; ensuite, une ridiculisation des électeurs de ces mouvements, qui agissent par « colère », par « ras-le-bol », par « épuisement », mais jamais par logique et réflexion ; enfin, une mise sur le même plan avec l’extrême droite, pour dire qu’au final, l’extrême droite est ce qu’il y a de plus dangereux pour le système.

    Pour valider tout ça, est utilisé à la fois la parole « d’experts » qui soit sont des opposants politiques objectifs (on ne va pas me dire qu’un libéral eurobéat porte dans son cœur un Pablo Iglesias, un Alexis Tsipras ou un Jean-Luc Mélenchon), soit ne sont pas des spécialistes de la question, soit sont partie-prenante de la question mais voient alors leurs propos sont détournés. Christian Salmon, l’un des tout premiers signataires de l’appel pour la 6e République, en avait fait les frais dans un numéro Libération titrait « Mélenchon pour la purification éthique ». À tel point qu’il avait dû publier un droit de réponse sur son blog pour préciser son propos, tant il avait été dévoyé par Libération.

    Qu’on me comprenne bien : le problème, dans le fond, n’est pas que Le Monde développe un discours politique sur des formations de la gauche radicale. La liberté de la presse doit être absolue, dans les limites prévues par la loi et je suis l’un des plus fervent partisan du journalisme engagé, où l’auteur d’un article dit ce qu’il pense de tel ou tel phénomène et explique pourquoi. Le problème est que Le Monde développe un discours politique en conservant toujours l’apparence de la neutralité, ou de l’objectivité et qu’il apparaisse comme un journal de référence, qui impose plus ou moins directement sa ligne éditoriale aux autres qui l’imitent. On a vu, déjà, la puissance déflagratrice de quatre ans de dédiabolisation du Front national après l’arrivée de Marine Le Pen à la tête du parti.

    En 1920, deux ans avant l’arrivée au pouvoir de Mussolini, Antonio Gramsci écrit : « La phase actuelle de la lutte des classe en Italie est celle qui précède soit la conquête du pouvoir par le prolétariat révolutionnaire (…) ; soit une terrible réaction de la part de la classe possédante et de la caste gouvernementale ». Pour l’Espagne et pour la Grèce, Le Monde a, semble-t-il, déjà choisi son camp.

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  • Sur Politis, 4/12/2013

     

    Après le « direct » de TF1 avec Jean-Luc Mélenchon, réalisé dimanche 1er décembre avant le départ de la Marche pour la révolution fiscale, dans des conditions qui font polémique, I-Télé a diffusé des images de la manifestation contre le racisme du 30 novembre en faisant croire qu’il s’agissait du défilé du Front de gauche.

    Ces images ont été diffusées peu après 16 h 30 en introduction à un entretien en duplex avec le coprésident du Parti de gauche. On y reconnaît nettement la place de la Bastille ; on y voit surtout une femme, que l’on imagine être une des organisatrices, pousser sans ménagement un homme en bas de la scène, au moment où la « voix off » du présentateur parle de la « descente de la scène » de Jean-Luc Mélenchon.

    Dans le cours de l’entretien, de nouvelles images de la manifestation antiraciste sont apparues en incrustation à l’écran, donnant à penser là encore que les rangs de la marche du Front de gauche étaient clairsemés, ce qui n’était pas le cas.

    Sur son compte Twitter, Raquel Garrido, avocate et secrétaire nationale du Parti de gauche, a interpellé le CSA, qui s’est saisi de « l’affaire TF1-Mélenchon », pour lui demander de réagir plutôt à l’erreur (volontaire ou involontaire ?) d’I-Télé.

    La séquence d’I-Télé a été mise en ligne en intégralité ce matin par le Parti de gauche sur son compte Dailymotion.

    Même confusion sur Canal +

    Les images de la manifestation antiraciste ont été resservies pareillement à Jean-Luc Mélenchon, hier soir, dans le « Grand Journal » de Canal + (à 5’39’’).

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  • Quelques jours après avoir proféré des propos indignes d'un ministre de la République, et simplement obscènes dans la bouche d'un homme qui prétend encore et contre toute évidence "être de gauche", voila un sondage qui tombe à point pour conforter Manuel Valls dans sa dérive démagogique.

    Réalisé les 26 et 27 septembre par BVA pour Le Parisien, il annonce, dans sa synthèse des résultats et sous la plume du directeur général adjoint de l'institut Gaël Sliman, le "triomphe total du ministre de l'intérieur dans l'opinion". Pour preuve, les réponses  aux 3 question posées, dont en particulier celle-ci :

    "A propos des roms, le ministre de l'intérieur Manuel Valls a déclaré que "l'intégration ne peut concerner que quelques familles et il n'y  a pas d'autre solution que le démantèlement des campements et les reconduites à la frontière" : 77% jugent "qu'il a eu raison de tenir ces propos".

    Repris en boucle dans tous les médias, voila Manuel Valls auréolé de légitimité : "les français sont avec lui !", n'en déplaise aux bobos gauchos, et les éditocrates de reprendre cette antienne avec un ensemble touchant.

    Quand on a la curiosité (bien malsaine, je le reconnais...) d'aller voir le détail du sondage (disponible ici), on constate quelques particularités éclairantes sur ce résultat "triomphal" et la manière de l'obtenir.

    Le sondage est constitué de 3 questions.

    La 1ère : "A propos des roms, diriez-vous qu'ils s'intègrent très bien, plutot bien, plutot mal ou très mal dans la société française" ?

    Réponse : 93 % jugent qu'ils s'intègrent mal ou très mal. Quelle surprise ! Après des semaines de battage médiatique et d'exploitation politique sur les problèmes réels ou supposés de l'intégration des roms, le contraire aurait été très étonnant...

    Pourquoi d'ailleurs avoir posé cette question ? Pour une raison simple : elle plante le décor pour la question suivante, celle-là même qui porte sur les propos de Valls.  Car si presque tout le monde est d'accord pour constater les difficultés d'intégration des roms, c'est donc bien qu'il y  a un "problème rom", et qu'il appelle une réponse : celle de Manuel Valls tombe donc à pic, d'autant plus que BVA n'en propose pas d'autre aux sondés ! (Alors que pourtant elles existent, portées en particuliers par de nombreuses associations connaissant leur sujet depuis des années...)

    Mais le meilleur se trouve dans la question complète :

    "vous personnellement pensez plutôt qu'il a  raison de dire cela car il faut dire les choses clairement".

    ou bien :

    "Qu'il a tort de dire cela car il ne doit pas stigmatiser une partie de la population"

    Dans le 1er cas, l'argument imposé par BVA au sondé attribue aux propos de Valls la valeur d'une supposée "constatation objective", qu'il reviendrait au ministre de révéler sans fard. "Car il faut dire les choses clairement", sous-entendu : "elles sont effectivement comme ça, c'est une évidence."

    Dans le second cas, l'argument imposé par BVA au sondé place l'opinion du sondé dans le registre moral : ce n'est pas bien "de stigmatiser une partie de la population".

    Si, comme le suggère insidieusement BVA dans la première option, les propos de Valls découlent de l'observation de la "réalité", alors, et dans la mesure où les 2 proposition sont mises en opposition par l'institut afin de séparer les "pour" des "contre", le jugement moral condamnant ces propos ne repose pas, lui, sur une prise en compte de la "réalité", mais évidemment sur son ignorance ou même sur son déni.

    Position reposant sur une prétendue "réalité objective" d'un côté, jugement moral ignorant de cette "réalité objective" de l'autre, on voit clairement l'argument qui a le plus de force ! Et donc le plus de chance d'induire le "bon choix" chez le sondé...

    Par exemple, si ne serait-ce que la 2ème proposition avait été formulée comme suit : "il a tort de dire cela, car le point de départ de son opinion (seule une minorité de roms souhaite s'intégrer) ne repose sur aucune étude ou donnée statistique", le résultat eut été sans doute différent.

    Cette façon de suggérer un raisonnement dans la question prive de sa liberté de réflexion le sondé, qui se prononce en fonction d'un schéma qui lui est imposé, et qui découle le plus souvent des a priori du commanditaire du sondage. Il serait beaucoup plus intéressant de poser la question toute nue ("approuvez-vous ou bien désaprouvez-vous les propos de Valls"), en recuillant les arguments avancés spontanément par le sondé... Une fois classés, on pourrait apprécier la valeur des arguments des uns et des autres.

    Ce "guidage" des réponses se retrouve dans la 3ème question :

    "Diriez-vous de Manuel Valls qu'il est trop à gauche, pas assez à gauche, ou juste comme il faut, ni trop ni pas assez à gauche?"

    Il est donc exclu que le sondé puisse exprimer l'idée que Valls serait à droite, voire à l'extrême droite, opinion qui pourtant existe si j'en crois de nombreux blogs ou commentaires sur les sites internet. Et voila les tenants de cete opinion dissimulés dans les 19% qui ne le trouvent "pas assez à gauche", faute d'une proposition plus précise. Mais laisser apparaître un tel point de vue mettrait du désordre dans le décor soigneusement entretenu du petit théatre politico-médiatique...

    Quant aux 67% qui le jugent "juste comme il faut", juste après avoir été induits à penser que somme toute il a raison sur les roms, un résultat plus faible eut été étonnant...

    Voila comment en 3 questions on peut sinon créer de toute pièce, du moins tranformer un éventuel bon score en un "triomphe" exploitable à la fois pour vendre du papier et pour modeler l'opinion, en fonction des attentes de celui qui paie le sondage, et peut-être aussi de l'institut.

    M.C.

      

      

     

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  • En matière de bourrage de crâne, le domaine des chroniques dites "économiques" est particulièrement flagrant : sous couvert d'une prétendue "information", c'est un discours d'opinion, purement idéologique, qui est déployé afin de tenter de façonner l'opinion publique en faveur d'une vision strictement libérale de l'économie.

    Au Parti de Gauche, nous nous battons pour dénoncer l'action dévoyée des médias qui, au lieu d'informer les citoyens, se mettent au service des intérêts de l'oligarchie qui règne sur le système.

    Mathias Reymond, d'Acrimed, fait un petit tour d'orizon de la propagande qui se déverse chaque jour sur les ondes.

    Sur Acrimed

    par Mathias Reymond, le 29 mai 2013

    Comme nous le soulignions déjà en décembre 2012, les chroniqueurs économiques des grands médias audiovisuels sont interchangeables [1] : ils partagent les mêmes points de vue sur « l’urgence des réformes » (forcément libérales), sur « le rôle de l’État » (forcément trop gourmand), sur « l’Allemagne » (forcément paradisiaque) et sur « la mondialisation » (forcément heureuse). Les crises à répétition, les défaillances d’un système économique et financier qui s’essoufle, l’échec des politiques d’austérité n’y font rien : les mêmes – toujours les mêmes – continuent de pérorer sans plier. Pendant que le printemps se fait attendre, les chroniqueurs économiques, eux, se font entendre…

    Les médias de masse (radio et télévision) ne sont pas censés jouer le rôle de prescription que joue la presse écrite qui est aussi souvent une presse d’opinion. Pourtant, dès qu’il est question d’économie, le journalisme devient commentaire. Et l’éditorialiste se transforme en partisan. Partisan de l’économie de marché, de l’économie déréglementée et de l’Europe libérale…

    Les réformes, toujours...

    Comme toujours, le dénominateur commun des chroniqueurs économiques est l’enthousiasme effréné pour les réformes qui se traduisent toujours par moins d’État et plus de marché. Ainsi, sur Europe 1, Éric Le Boucher donne le « la » en faisant état des chantiers qui attendent la France pour les années à venir : « réforme des retraites, baisse des dépenses de santé, recul des crédits aux collectivités locales et surtout plus de réformes structurelles pour la compétitivité. » (6 mai 2013)

    Pour relancer l’économie française, Nicolas Doze sur BFMTV suggère naturellement de « réduire les prélèvements obligatoires. » Et prévient : « ce n’est plus possible de reculer sur les trois réformes attendues et exigées par le reste de l’Europe : réforme sur le marché du travail et sa rigidité ; réforme sur les retraites ; réforme de la libéralisation des professions qui sont encore sous numerus clausus. » (15 mai) La partition est exactement la même sur la chaîne concurrente I-Télé où Jérôme Libeskind préconise donc « de dépenser moins, de taxer moins. » (17 avril) Original...

    Même son de cloche sur les autres radios généralistes. Le chroniqueur matinal de France Inter, Dominique Seux, s’inquiète d’un risque d’overdose de la France : « les dépenses publiques, si rien n’est fait, seront en 2014, pour la première fois, les plus élevées des 27 pays européens, au-dessus du Danemark, à plus de 57 % du PIB. À ce niveau, ce n’est plus de l’aspirine, c’est de la morphine, c’est-à-dire une drogue. » (6 mai) Et sur RTL, Christian Menanteau pratique un copier-coller exemplaire : « Il va falloir apprendre à gérer sobrement, reformer les prestations sociales, les retraites, les allocations chômage et ça va être d’autant plus indispensable que la corde de rappel allemande ne va pas disparaître. » (6 mai)

    On l’aura compris, les réformes libérales sont plus que nécessaires pour tendre vers le modèle allemand.

    L’Allemagne, encore...

    La rigueur allemande est régulièrement donnée en exemple par les commentateurs de l’économie. Sur Europe 1, Axel de Tarlé incite François Hollande à suivre l’exemple de Gerhard Schröder - « on va voir maintenant si François Hollande aura le même courage » (24 mai) dit-il – en le conseillant sur les réformes à faire dans le cadre de l’assurance-chômage : « Gerhard Schröder en 2005 a réduit de moitié l’indemnisation du chômage à un an contre deux ans en France. Résultat : en Allemagne les entreprises payent deux fois moins de cotisations donc oui elles sont plus fortes et oui les entreprises créent plus d’emplois. Franchement, au point où il en est, François Hollande a tout intérêt maintenant à suivre cette voie qui a fait ses preuves. »

    Des preuves qui ne seront nullement contestées par Éric le Boucher : « On peut les soupçonner [les socialistes qui critiquent l’Allemagne] de vouloir, comme leur aile gauche, un abandon de la rigueur au profit d’un retour à la politique menée depuis trente ans d’un nouvel endettement national ou européen. » (29 avril) Mais, ajoute-t-il, « le parti au pouvoir entretient les illusions d’hier : relance des dépenses publiques et attente de la sortie de crise par les autres – par les Allemands, par l’Europe, par l’extérieur. Mais hélas, les problèmes de la France sont français, ils ne sont pas allemands, la compétitivité ne viendra des réformes qu’en France pas en Allemagne. » (29 avril)

    Pour que la sauce de la relance prenne, un subtil mélange s’impose : moins d’État, plus d’Allemagne et surtout un blanc-seing pour le patronat.

    Les patrons, évidemment...

    Le candidat François Hollande voulait encadrer les salaires des grands patrons, mais le gouvernement Ayrault est revenu à la raison : le patrons ne seront pas accablés. Le chœur des chroniqueurs pousse un « ouf ! » de soulagement.

    Sur I-télé, Jérôme Libeskind prend la défense des chefs d’entreprise car le moment de les incommoder est mal choisi : « Si le gouvernement avait décidé en plus de légiférer sur la rémunération des patrons, et bien, il aurait à nouveau brouillé ses relations avec les entreprises et leurs dirigeants, et ce n’est pas franchement le moment. » (24 mai) Son collègue de BFMTV, Nicolas Doze – qui avait flairé avec ce projet l’entrée des chars soviétiques dans Paris – approuve le renoncement de Pierre Moscovici : « Passer par la loi sur ce sujet, ça n’a aucun sens. Contrôler les prix, contrôler les salaires, c’est complètement fossilisé comme politique. […] » (27 mai) Cela aurait été « une loi complètement anachronique. »

    Derrière toutes ces analyses, il n’y aurait pas d’idéologie. Tout cela résulterait du bon sens et ne serait teinté d’aucune arrière-pensée politique. Que dire alors quand Axel de Tarlé fait sa chronique sur « l’explosion abusive des arrêts maladie en dix ans » (25 avril). Pour lui cela ne fait pas de doute : il y a de « l’abus ». « Pourquoi serions-nous plus malade aujourd’hui qu’il y a dix ans ? » s’interroge-t-il, avant d’insister : « Il y a de l’abus partout, y compris dans le privé ! » Mais si de Tarlé s’était donné la peine de lire l’ensemble du rapport qu’il cite, il aurait vu que la population active vieillit, que le temps de travail s’allonge et qu’entre « 2008 et 2011, les salariés de plus de 50 ans ayant bénéficié d’un arrêt-maladie ont augmenté de 8,5 %, soit un rythme plus soutenu que celui du nombre total d’arrêts (+1,4 %) » [2]. De plus, « la durée des absences s’accroît avec l’âge : en moyenne, elle est 3,5 fois plus importante pour les salariés de plus de 60 ans que pour ceux de 30 ans » [3].

    Que penser également de la chronique de Bruce de Galzain « L’éco du jour », sur France Inter, qui prend le parti du libéralisme, le vrai. En effet, il salue la sortie d’un livre de Daniel Tourre (membre du parti Alternative libérale) qui veut combattre les clichés du libéralisme en France : « L’ouvrage est documenté, abordable, drôle ; pas prosélyte, didactique ! Et lorsque l’on demande à Daniel Tourre pourquoi le libéralisme est tant décrié en France, il prend sa part de responsabilité : il y a bien sûr l’omnipotence de l’État-nounou selon lui, la religion de l’État-Dieu qui ne laisse pas beaucoup de place […] » (10 mai).

    ***

    Toutes ces chroniques sont construites sur le même modèle : plutôt que d’informer sur l’état de l’économie ou du débat économique, leurs auteurs, pourtant journalistes de profession, se contentent, semaine après semaine, de faire valoir leurs opinions tout en se faisant juges et prescripteurs des politiques économiques nécessaires à la France.

    Et dès lors que tous ces chroniqueurs professent, à quelques nuances infimes près, le même libéralisme échevelé, six semaines (seulement) de leurs élucubrations dans les médias dominants se résument à un seul et même petit refrain, monotone et entêtant, celui du marché… Et tant pis pour l’objectivité journalistique, le pluralisme médiatique et le débat démocratique !

    Mathias Reymond

    Lien vers l'article original

    Notes

    [1] Lire « Le chœurs des chroniqueurs économiques des ondes.

    [2] Le Monde, 25 avril 2013.

    [3] Ibid.

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    Etant donnée sa qualité, nous ne résistons pas au plaisir de proposer à votre jugement la version longue de l'article d'André Gunthert donné ici le 5 mai 2013.

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    Mélenchon malpoli, Mélenchon nazi

    Le magazine du Monde, 04/05/2013.
    Le magazine du Monde, 04/05/2013.

    Depuis que Jean-Luc Mélenchon s'est imposé comme le leader à gauche de la gauche, la presse des catégories socio-professionnelles favorisées (CSP+) a développé une allergie viscérale à son encontre. Un processus sournois de diabolisation fait de Méluche le nouveau Le Pen.

    Qu'est-ce que la démocratie? La courtoisie et le respect des bonnes manières. C'est du moins l'impression que peut donner la lecture des articles consacrés à Mélenchon qui, du Point à Libération en passant par Le Monde, dénoncent unanimement, non les positions politiques de l'élu, mais ses "colères", ses "insultes" et ses "intimidations". La Constitution garantissant en principe le droit de professer des opinions qui s'écartent du consensus bruxellois, la critique ne porte jamais sur le fond. Mais comme chacun sait que la violence des totalitarismes se traduisait aussi par des brutalités ou des excès de langage, les mauvaises manières de Mélenchon sont dénoncées comme le signe le plus évident d'une "dérive fascisante". CQFD.

    Malpoli = nazi? Les journalistes sont plus ou moins conscients de l'outrance de l'amalgame et de la perfidie de l'argument. La preuve en est qu'à quelques exceptions près, ils recourent à des méthodes détournées, sur le mode de l'allusion ou de la caricature, pour suggérer ce message. Dans le texte, cela donne: "La résistible ascension de Jean-Luc Mélenchon" (Alain Duhamel, Libération du 9 mai 2013, allusion à la pièce de Brecht "La résistible ascension d'Arturo Ui", lui-même substitut d'Adolf Hitler). Dans l'image, les iconographes cherchent des photos correspondant au stéréotype tribunicien, poing levé, gueule ouverte, face grimaçante, où l'orateur prend les traits du Führer ou du Duce.

    Le dernier dossier en date, publié par M, le magazine du Monde la veille de la manifestation du Front de gauche (édition du 4 mai 2013), fait carton plein dans l'art de la caricature qui ne dit pas son nom. Sous le titre "Le grand méchant Mélenchon", un festival d'allusions tribuniciennes renvoie directement à l'imagerie hitlérienne: la célèbre série des poses par Heinrich Hoffmann ou les extraits des discours du Triomphe de la Volonté de Leni Riefensthal.

     

     



    Dès les années 1930, les dangers que fait peser le régime nazi sur la paix et la démocratie lui valent de violentes caricatures. Dans l'éventail des figures satiriques, la harangue tribunicienne, associée à l'usage d'une langue incompréhensible, telle que la restitue par exemple Chaplin dans Le Dictateur, paraît une arme de choix pour dénoncer la folie hitlérienne.

    A l'exception des néo-nazis et des historiens spécialisés, il est rare aujourd'hui de rencontrer quelqu'un ayant visionné un discours d'Adolf Hitler en entier. Ceux qui tenteront l'exercice auront la surprise de découvrir que, tout monstre qu'il fut, le Führer ne hurle pas deux heures d'affilée la bave aux lèvres. Comme la moyenne des orateurs de son époque, qui ont appris à parler en public avant l'amplification électronique, il recourt volontiers à des accents théâtraux, qui ne prennent un tour exalté qu'au moment de la péroraison finale. En d'autres termes, l'iconographie tribunicienne correspond à une forme de caricature par sélection d'images auquel s'expose n'importe quel acteur politique.

    Au-delà de comparaisons ponctuelles de divers responsables avec Hitler, la figure de diabolisation par amalgame s'est tout particulièrement épanouie avec la critique de Jean-Marie Le Pen, au cours des années 1980. Outre les sympathies du fondateur du Front national pour le précédent nazi, la généalogie politique de son parti et ses nombreux dérapages ou allusions racistes ont encouragé un rapprochement ayant valeur de condamnation morale.

    Le cas Mélenchon ne comporte aucun de ces facteurs. Pourtant, en discutant avec plusieurs journalistes, j'ai constaté que ceux-ci, auto-convaincus de la caricature qu'ils alimentent, s'étonnent qu'on puisse trouver à redire à l'iconographie négative qui lui est volontiers associée. Mélenchon n'est-il pas effectivement "vociférant et agressif"? Pourquoi s'offusquer dès lors que la photographie le représente tel qu'en lui-même?

    Mais la photographie, quand elle a fait l'objet d'une sélection par un directeur artistique, n'a plus rien d'une description objective. A preuve, la vision au contraire souriante et charismatique du dirigeant du Front de gauche que l'on rencontre dans le quotidien L'Humanité, qui partage ses options politiques.



    L'exclusion de toute image positive dans le dossier du Monde, qui ne retient que des portraits soucieux ou grimaçants, et dont la dimension sinistre est encore accentuée par l'usage inhabituel du noir et blanc, témoigne d'un biais opposé. Si l'on doutait de son caractère systématique, un trucage délibéré – autre élément exceptionnel dans le traitement d'une actualité politique par le Monde – vient en apporter la preuve. La série des portraits "à la Heinrich Hoffmann" de la couverture est réalisée à partir de plusieurs inversions gauche/droite de photos de Mélenchon diversement retouchées.



    De quel côté est l'excès? En voulant donner une leçon de bonnes manières au leader gauchiste, Le Monde recourt à des procédés qu'aucun manuel de journalisme ne pourrait justifier. De même que la caricature de Hitler était revendiquée par la presse des démocraties alliées, la diabolisation de Jean-Marie Le Pen a été une stratégie ouvertement assumée par la gauche. Mais l'usage caricatural de la photographie est une satire cachée et déloyale, comme prête à être niée par ceux qui l'utilisent.

    A la différence du rapprochement avec Marine Le Pen, autre classique de la dénonciation du populisme mélenchonien, la mobilisation de l'imagerie tribunicienne fonctionne à la manière de l’allusion: comparaison elliptique parce qu'excessive, elle omet le comparant, qui reste implicite et doit être restitué par le destinataire. Comme le délit de sale gueule, l’attaque iconographique ne fait pas appel à des arguments rationnels, mais construit sur le mode de la médisance un document accusatoire qui s’appuie sur l’aspect physique et sur des jeux associatifs inavoués.

    On peut être en désaccord avec les choix politiques de Jean-Luc Mélenchon. Mais qui osera sans ridicule affirmer que le dirigeant du Front de gauche est aussi dangereux qu'Hitler, ou que ses critiques de la politique gouvernementale sont aussi condamnables que les sorties racistes d'un Le Pen? L’arme de la caricature ne se justifie qu’à la condition d’être proportionnée. En plus de tomber à plat, une caricature hypocrite et gratuite justifie les protestations de Mélenchon contre la partialité du traitement journalistique.

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