• Sur Le Monde.fr -  01.09.2015 

    Interview de Joseph Stiglitz par Marie Charrel

     
    le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz publie, le 2 septembre, « La grande fracture », aux Éditions Les Liens qui Libèrent. le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz publie, le 2 septembre, « La grande fracture », aux Éditions Les Liens qui Libèrent. Reuters /Shannon Stapleton

     

    Pourfendeur des politiques d’austérité en Europe, le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz travaille, depuis des années, sur les causes des inégalités économiques aux Etats-Unis et leurs conséquences, à la fois politiques et sociales. Le 2 septembre, il publie un nouvel ouvrage sur le sujet, La grande fracture, aux éditions « Les Liens qui Libèrent ». Rencontre.

     

    Vous expliquez dans votre ouvrage que les inégalités sont à l’origine de la crise de 2007. Pourquoi freinent-elles aujourd’hui la reprise ?

    D’abord, parce qu’elles sont souvent le résultat de rentes et monopoles paralysant l’économie. Mais, surtout, parce que les inégalités forment un terrible piège. Pour les Américains des classes populaires disposant d’une mauvaise couverture santé et qui ont difficilement accès à l’éducation, l’ascenseur social ne fonctionne plus. Ils ont peu de chance de voir leurs revenus augmenter. Or, sans hausse des revenus, il n’y a pas de hausse de la consommation, ce qui affaiblit la croissance.

    Avant la crise des subprimes, les dépenses des ménages américains étaient artificiellement – et dramatiquement – gonflées par le crédit. Maintenant que ce levier a disparu, nous constatons les ravages provoqués par les inégalités. Elles sont incompatibles avec une croissance saine.

     

    Mais la récession elle-même a accru les inégalités !

    Oui, mais il ne faut pas se tromper : les inégalités ne sont pas une fatalité, elles sont le résultat de choix politiques. Pour preuve, des états ont réussi à allier croissance et équité parce qu’ils ont fait de ce double objectif une priorité.

    C’est le cas des pays scandinaves, mais aussi de Singapour ou de l’île Maurice, qui a réussi à diversifier son économie en misant sur l’éducation de sa population. Les Etats-Unis ont beaucoup à apprendre de ces exemples.

    Vous appelez les états industrialisés, en particulier les Etats-Unis, à investir dans l’innovation, les infrastructures, l’éducation. Comment faire alors que les dettes publiques atteignent des niveaux records ?

    C’est une très mauvaise excuse. Aux Etats-Unis, les taux d’intérêts réels sont négatifs, et ils sont très bas en Europe : la période n’a jamais été aussi propice à l’investissement. D’autant que les investissements, dont il est ici question, alimenteront une croissance solide dans les années à venir et donc, des recettes fiscales supplémentaires qui permettront d’équilibrer les comptes publics.

    S’endetter pour construire l’avenir n’est pas un frein à la croissance. C’est ne pas le faire qui est un cadeau empoisonné pour les générations futures.

    Le monde va-t-il sombrer dans une « stagnation séculaire », à savoir, une longue période de croissance faible ?

    La stagnation séculaire a deux causes. La première est l’anémie de la demande mondiale, notamment plombée par des politiques d’austérité injustifiées en Europe. La seconde tient aux interrogations autour des innovations de ces dernières années.

    Pour l’instant, Facebook, AirBnb, l’économie collaborative, ne génèrent pas de gains de productivité aussi puissants que ceux de la révolution industrielle, et nous ne savons pas mesurer ce qu’elles apportent dans le Produit intérieur brut.

    L’une de ces innovations finira-t-elle par changer la donne ? Impossible de le prédire, car, par définition, ce genre de rupture est imprévisible.

    Mais une chose est sûre : les états ont un rôle à jouer ici, en investissant dans la recherche pour favoriser l’éclosion de ces innovations. Car le seul investissement des entreprises ne peut suffire.

    Mais si cela ne se produisait pas ? Si aucune innovation ne relançait les gains de productivité ?

    Dans le fond, ce ne serait pas si dramatique, puisque les ressources de la planète sont limitées. Nous pourrions très bien nous accommoder d’une croissance durablement faible, si elle s’accompagne de politiques réduisant les inégalités.

    Malgré la hausse des inégalités que vous dénoncez, l’économie américaine a progressé de 3,7 % au deuxième trimestre. Ce n’est pas si mal.

    La reprise américaine est un mirage. Il est vrai que notre taux de chômage est bas (5,3 %), mais nombre de demandeurs d’emplois sont sortis des statistiques. Il manque 3 millions d’emplois au pays. La Réserve fédérale ne le comprend pas. Ses remèdes sont inadaptés.

    La croissance de ces dernières années a été alimentée par la baisse du dollar, qui a un peu regonflé notre compétitivité, et par la bulle boursière. Mais la baisse du dollar est derrière nous, et la bulle boursière ne contribue à la consommation des ménages que très marginalement. Ce n’est pas tenable.

    Que faire pour alimenter une croissance saine aux Etats-Unis ?

    Les pistes sont nombreuses : investir dans la recherche, l’éducation, les infrastructures, favoriser l’accès des Américains à l’enseignement supérieur. Instaurer un salaire minimum me paraît aussi une bonne piste.

    Ces dernières années, les profits ont augmenté de manière disproportionnée face aux salaires. Cette distorsion du partage des revenus est source d’inégalité et affaiblit la croissance potentielle.

    Une autre façon de la corriger serait de rendre notre fiscalité plus progressive et équitable. Il n’est pas normal qu’un spéculateur soit aujourd’hui moins imposé qu’un travailleur.

    Pourquoi le prochain président américain, s’il est démocrate, appliquerait-il de telles mesures si Barack Obama lui-même ne l’a pas fait ?

    Barack Obama a commis des erreurs. Mais, depuis, quelque chose a changé aux Etats-Unis. De nombreux politiques, notamment au Sénat, ont pris conscience qu’il y a urgence à s’attaquer au problème des inégalités. Tous les candidats démocrates en ont fait leur priorité.

    Parlons un peu de l’Europe. Le troisième plan d’aide à la Grèce sortira-t-il enfin Athènes de l’ornière ?

    Ce plan est la garantie que la Grèce va s’enfoncer dans une longue et douloureuse dépression. Je ne suis pas très optimiste.

    La seule bonne nouvelle est que le Fonds monétaire international (FMI) milite désormais pour un allégement de la dette publique. Cela n’a pourtant pas empêché les créanciers d’Athènes d’adopter un programme d’aide ne disant pas un mot sur le sujet.

    Pourquoi la dette est-elle un sujet aussi sensible en Europe ?

    Pour deux raisons. La première est qu’il y a confusion. La dette y est conçue comme un frein à la croissance alors qu’au contraire, elle est l’assurance de la prospérité future, lorsqu’elle sert à financer des investissements clés. Les Européens l’ont oublié.

    Et pour cause : une partie de la droite du Vieux Continent alimente cette hystérie autour de la dette dans le but d’atteindre l’Etat providence. Leur objectif est simple : réduire le périmètre des états.

    C’est très inquiétant. A s’enfermer dans cette vision du monde, l’obsession de l’austérité et la phobie de la dette, l’Union européenne est en train de détruire son avenir.

     

    Yahoo! Google Bookmarks

    votre commentaire
  •  

    Très justement intitulé "clarté", cet article de Frédéric Lordon est la meilleure réponse à la confusion créée par la dernière prise de position de Jacques Sapir. Un texte éclairant, qui évitera aux distraits de se perdre dans la confusion idéologique ambiante, laquelle ne sert au final que l'extrême droite.

     

    Sur son blog La-pompe-a-phynance

    mercredi 26 août 2015, par Frédéric Lordon

    La question de l’euro échappera-t-elle un jour à la malédiction du FN ? Sans doute tout la destinait-elle à y tomber, spécialement en une époque où se mêlent toutes les confusions et toutes les hystéries, au point de rendre presque impossible le moindre débat rationnel. Mais que dire quand ce sont certains des avocats mêmes de la sortie de l’euro qui ajoutent au désordre intellectuel et, identifiés à gauche, en viennent à plaider d’invraisemblables alliances avec l’extrême-droite ?

    Le FN, ce terrible fléau, cette bénédiction Retour à la table des matières

    Sauf à vivre dans le monde des rêves habermassien, l’expérience élémentaire enseigne l’improbabilité du débat ordonné – qui appelle des prérequis institutionnels très particuliers, comme ceux des institutions scientifiques, pour avoir sa chance. Mais les défigurations qu’aura souffertes le débat sur l’euro resteront sans doute dans l’histoire contemporaine comme un cas extrême d’altération, et même d’aberration, offrant le spectacle d’un monde politique que toute rationalité argumentative semble avoir déserté. Il est certain que, prêts à tout pour défendre l’ordre social qui fait leur bonheur, les dominants sont notamment prêts aux travestissements les plus éhontés pour écarter toute alternative, invariablement présentée comme monstruosité. C’est bien pourquoi l’ordre dominant a impérativement besoin de ses monstres s’il veut soutenir – en y renvoyant systématiquement – le caractère monstrueux de tout ce qui n’est pas lui. Ainsi, par exemple, la Corée du nord est-elle moins l’anomalie de la mondialisation qu’elle n’est sa secrète bénédiction, sa monstrueuse, sa nécessaire altérité : comment mieux plaider l’irresponsabilité de la démondialisation qu’en l’enfermant dans l’unique figure possible de la Corée du nord (plaise au Ciel qu’elle dure encore longtemps), pour mieux asséner l’argument supposé rédhibitoire : « c’est ça que vous voulez ? ».

    Mutatis mutandis le FN est, pour le débat de l’euro, l’équivalent fonctionnel de la Corée du nord pour celui de la démondialisation. Car, bien sûr, on n’aura pas la maladresse de dire qu’il n’y pas d’alternative : on dira qu’il y a celle-là… La suite s’en déduira d’elle-même. Leur opposition « radicale » de surface masque alors la profonde solidarité structurale des deux termes supposément en conflit – le FN et le grand parti unique eurolibéral – qui sont, là encore, une bénédiction l’un à l’autre, au point de les faire vivre dans un parfait rapport de symbiose fonctionnelle : le FN prospère du monopole de singularité que lui abandonne le parti unique d’en-face, lequel, usé jusqu’à la corde, ne se maintient plus qu’en renvoyant au monstre tout projet de faire autrement.

    Car une chose est certaine, c’est qu’à part le terrorisme au FN, le parti eurolibéral – dans lequel on aura compris que PS et UMP sont deux parfaits substituts – n’a plus rien à dire. Il est rincé, à sec, lyophilisé, de la pensée en granules, du discours en poudre. À la vérité comment pourrait-on trouver quoi que ce soit à dire quand l’accablant spectacle donné depuis 2010 ne peut que réduire à rien, ou bien à un scandale supplémentaire, la défense d’un ordre européen qui s’est rendu haïssable, et sous tous les rapports : la catastrophe économique y est effrayante, les exigences même les plus formelles de la démocratie y sont foulées au pied, plusieurs pays ont été conduits à la crise humanitaire – en Europe ! Par l’Europe !

    Par bonheur, quand il n’y a plus rien, il y a encore le FN. Et voilà aussi par quoi l’euro se maintient. Pour que le monstre remplisse son office cependant, il importe de lui faire absorber toute altérité possible, et de confondre toutes les alternatives en une seule, la sienne – monstrueuse. C’est bien pourquoi les idéologues eurolibéraux, journalistes embedded en tête, n’ont jamais rien eu de plus urgent que d’assimiler ainsi toute idée de sortie de l’euro au nationalisme xénophobe du Front National, d’égaliser strictement les deux termes, opportunément soudés dans la même indignité. Qu’importe les projets de gauche en cette matière : s’ils sont rouges, c’est qu’ils sont rouges-bruns – dans une expérience de pensée oulipienne, il faut imaginer le désarroi, peut-être même le sentiment d’impossibilité radicale, de Jean-Marie Colombani et Jean Quatremer invités à objecter à la sortie de l’euro sans dire une seule fois « rouge-brun » (ou « repli nationaliste », ou « tentation xénophobe »).

    Des signifiants disputés Retour à la table des matières

    Le drame politique se noue véritablement quand la confusion n’est plus seulement alimentée par ce qu’on appellera la droite générale – où le PS se trouve évidemment inclus – mais depuis la gauche également, et sous deux formes diamétralement opposées : l’entêtement de la gauche alter-européiste à « changer l’euro », la perdition d’une autre gauche dans la tentation, pour le coup, oui, monstrueuse, de l’alliance avec le Front national.

    À sa manière à elle, la gauche alter-européiste aura ajouté foi au discours eurolibéral de la droite générale en rabattant, exactement comme cette dernière, tout projet de sortie de l’euro sur le fléau du « nationalisme ». C’est qu’en des temps de vacillation intellectuelle, la catastrophe idéologique était vouée à se nouer autour de deux signifiants disputés : « nation » et « souveraineté ». Disputés en effet puisque, pour chacun de ces termes, l’unicité nominale masque une dualité de lectures possibles qui soutiennent des mondes politiques radicalement antinomiques. Entre la nation substantielle, confite en ses mythes identitaires et éternitaires, et la nation politique, rassemblant les individus dans l’adhésion à des principes, sans égard pour leurs origines, bref entre la nation de Maurras et celle de Robespierre, il n’y a pas qu’un gouffre : il y a une lutte inexpiable. Et de même entre la souveraineté comprise comme apanage exclusif des élites gouvernementales et la souveraineté conçue comme idéal de l’auto-gouvernement du peuple. « Nation » et « souveraineté » ne disent rien par eux-mêmes, ils ne sont que des points de bifurcation. Ils ne parlent que d’avoir été dûment qualifiés, et alors seulement on sait vers quoi ils emmènent.

    Dans ces conditions, la faute intellectuelle de l’alter-européisme est triple : il a manqué à voir la dualité du signifiant « nation souveraine », abandonné à la droite d’en imposer sa lecture, et par cet abandon même trahi son propre legs historique : car en France la nation souveraine naît en 1789, elle se constitue comme universalité citoyenne, elle exprime le désir de l’autonomie politique, désir d’un peuple en corps de se rendre maître de son destin, bref elle est de gauche.

    Et par l’effet d’une incompréhensible démission intellectuelle, elle n’est désormais plus que de droite... Il est vrai qu’un internationalisme mal réfléchi n’a pas peu contribué à faire méconnaître [1], en réalité à faire oublier, que la souveraineté comme auto-gouvernement suppose nécessairement la clôture relative – relative, car toujours ouverte à quelque degré sur son dehors – d’une communauté sur un ressort fini. Le genre humain unifié n’existe pas, il ne soutient aucune politique possible, ou bien à un terme (hypothétique) bien fait pour éternellement différer tout retour de la politique – essence du jacquattalisme et de ses rassurants messages : la mondialisation est notre horizon indépassable, certes elle nous a un peu débordés, mais le gouvernement mondial nous permettra d’en reprendre le contrôle… dès qu’il sera advenu ; en attendant : patience… et courage.

    On dira que l’Europe se présente précisément comme une solution accessible de régulation de la mondialisation néolibérale. Sans même discuter qu’en cette matière l’Union européenne n’est pas faite pour réguler, mais pour relayer et amplifier, il faut avoir l’étroitesse de vue de l’européisme le plus béat, mais aussi bien de l’alter-européisme le plus angoissé, pour ne pas voir ce paradoxe élémentaire que le projet européen est national-souverainiste dans son essence ! Ne se propose-t-il pas de fonder sur un périmètre fini – car « l’Europe » s’arrêtera bien quelque part – une communauté politique souveraine, et par là une citoyenneté d’appartenance – européenne ? Soit, non pas du tout le « dépassement de l’Etat-nation », comme le bredouillent Habermas et ses épigones français, mais le simple redéploiement, éventuellement sous une autre forme, de son principe à une échelle étendue… Et les Etats-Unis d’Europe ne seront que le reflet transatlantique des Etats-Unis d’Amérique, dont on aura du mal à dire qu’ils dépassent quoi que ce soit en cette matière : ne sont-ils pas connus comme l’une des réalisations les plus agressives du souverainisme statonational ? – on mesurera par là le degré de confusion conceptuelle qui, de tous bords, afflige la question européenne.

    Misère du mono-idéisme Retour à la table des matières

    La faute intellectuelle de l’alter-européisme est considérable mais, dans son errance, elle a sa part de dignité, et ce au nom de quoi elle a erré n’a jamais mérité que le respect. Celle de la gauche en perdition est inexcusable. Car, si on ne peut pas excuser la gauche de devenir de droite – à l’image du « parti socialiste » –, on le peut encore moins de dériver vers la droite de la droite, et jusqu’à se rapprocher de l’extrême-droite. Il est inutile de le dissimuler car l’évidence est là : il y a dans certains secteurs de la gauche, et depuis longtemps, une réelle disposition à ce dévoiement-là. L’union des « républicains des deux bords » appelée par Chevènement en 2002 en a été la première manifestation visible dans le champ politique. Logiquement, le durcissement de la crise a accéléré toutes les tendances, desserré toutes les retenues, et poussé au franchissement de tous les seuils.

    Il y a bien des lignes de pente pour se perdre à l’extrême-droite, mais l’une d’entre elles vaut qu’on s’y arrête qui est moins immédiatement « politique », plus pernicieuse, et par là plus dangereuse : l’aveuglement du mono-idéisme. Le mono-idéisme, c’est l’empire de l’idée unique, le despotisme mental de la Cause au singulier absolu qui, affranchie de toute idée contradictoire, c’est-à-dire de toute régulation intellectuelle, imposera son primat et déploiera sans résistance ses conséquences jusqu’à l’aberration. Tout pour l’Idée unique, et cap au pire s’il le faut, voilà la devise implicite du mono-idéisme.

    Férocement appliqué sur les bords les plus opposés d’ailleurs. Car il y a évidemment un mono-idéisme européiste. Dont la Cause est l’Europe, quelle qu’en soit la forme et quels qu’en soient les contenus – soit, littéralement, l’Europe à tout prix. Quel que soit le mouvement, il est déclaré bon s’il fait avancer l’Europe, et peu importe absolument dans quelle direction. L’Europe fait régner la concurrence libre et non faussée ? Peu importe puisque le droit de la concurrence est un droit européen, et qu’un droit européen en soi signifie un progrès de l’Europe. L’Europe soumet les économies à l’omnipotence des marchés financiers ? Peu importe puisque c’est le moyen de construire une monnaie européenne qui, par là, se justifie d’elle-même. L’Europe n’est plus qu’un empilement de traités austéritaires ? Mais ça n’est pas la question : l’essentiel est que l’Europe avance – et la direction de l’avancée est tout à fait secondaire. L’Europe intransitive, l’Europe pour l’Europe, sans considération de quelque autre chose, voilà la figure du mono-idéisme européiste. Les socialistes et les écologistes français votent le TSCG : parce qu’« il faut continuer de construire l’Europe ». Et l’on se demande immanquablement jusqu’où il faudrait aller dans l’ignoble pour déclencher enfin un réflexe de reprise, une fissure dans le mono-idéisme, le retour d’une autre idée. Soit l’Europe rétablissant le droit du travail des enfants – formellement une nouvelle avancée du droit européen, donc un progrès de « l’Europe » – : stop ou encore ?

    En face, le mono-idéisme symétrique : sortir de l’euro quelles qu’en soient les voies. Si la sortie de l’euro a à voir avec la restauration de la souveraineté, peu importe de quelle souveraineté l’on parle. Et en avant pour le front indifférencié de « tous les souverainistes ». Nicolas Dupont-Aignan est « souverainiste » : il est donc des nôtres. Et puis après tout Marine Le Pen aussi, ne le dit-elle pas assez. Alors, logiquement, pourquoi pas ? Car voilà la tare majeure du mono-idéisme : il est conséquent sans entraves. Il suivra sa logique unique jusqu’où elle l’emmènera par déploiement nécessaire des conséquences qui suivent de la prémisse unique. Peu importe où puisque, l’Idée posée, on ne peut qu’avoir confiance dans la logique qui, ancillaire et neutre, vient simplement lui faire rendre tout ce qu’elle porte.

    On l’a compris puisque la chose entre dans son concept même : le mono-idéisme suppose l’effacement radical de toutes les considérations latérales – de tout ce qui n’appartient pas à son Idée. Que, par exemple, le Front national – ses errances idéologiques en matière de doctrine économique et sociale l’attestent assez – ait pour seul ciment véritable d’être un parti raciste, que la xénophobie soit l’unique ressort de sa vitalité, la chose ne sera pas considérée par le souverainisme de la sortie de l’euro quand il se fait mono-idéisme. Puisque la Cause, c’est la sortie de l’euro, et que rien d’autre n’existe vraiment. On envisagera donc l’âme claire de faire cause commune avec un parti raciste parce que « raciste » est une qualité qui n’est pas perçue, et qui ne compte pas, du point de vue de la Cause. Voilà comment, de l’« union des républicains des deux bords », en passant par « le front de tous les souverainistes », on se retrouve à envisager le compagnonnage avec le Front national : par logique – mais d’une logique qui devient folle quand elle n’a plus à travailler que le matériau de l’Idée unique.

    Le jugement de l’histoire Retour à la table des matières

    Il faut avoir tout cédé à une idée despotique pour que quelqu’un comme Jacques Sapir, qui connaît bien l’histoire, ait à ce point perdu tout sens de l’histoire. Car la période est à coup sûr historique, et l’histoire nous jugera. Si l’on reconnaît les crises historiques à leur puissance de brouillage et à leur pouvoir de déstabilisation – des croyances et des clivages établis –, nul doute que nous y sommes. Nous vivons l’époque de toutes les confusions : celle de la social-démocratie réduite à l’état de débris libéral, celle au moins aussi grave de révoltes de gauche ne se trouvant plus que des voies d’extrême-droite. Or on ne survit au trouble captieux de la confusion qu’en étant sûr de ce qu’on pense, en sachant où on est, et en tenant la ligne avec une rigueur de fer. Car en matière de dévoiement politique comme en toute autre, il n’y a que le premier pas qui coûte – et qui, franchi, appelle irrésistiblement tous les suivants. C’est pourquoi l’« union de tous les souverainistes » mène fatalement à l’alliance avec l’extrême-droite.

    C’est pourtant une fatalité résistible : il suffit de ne pas y mettre le doigt – car sinon, nous le savons maintenant à de trop nombreux témoignages, c’est le bonhomme entier qui y passe immanquablement. Ici la rigueur de « ne pas mettre le doigt » n’a pas de meilleures armes que la robustesse de quelques réflexes – où en est-on sur la question du racisme –, et le décentrement minimal qui, ne cédant pas complètement au mono-idéisme, permet d’identifier les périls. La fermeté des concepts aussi : en l’occurrence ceux par lesquels on fait sens des signifiants « nation » et « souveraineté », faute desquels on est voué aux sables mouvants de la confusion puisqu’ici ce sont la droite et l’extrême-droite qui tiennent la lecture dominante, à laquelle on succombera nécessairement si l’on n’a pas une autre lecture à leur opposer fermement.

    Mais on ne tient jamais si bien la ligne qu’en reconvoquant les leçons de l’histoire, notamment les souvenirs de quelques tragiques égarements du passé. C’est qu’on ne surmonte les emprises du présent et la difficulté à savoir ce qu’on y fait vraiment, c’est-à-dire l’absence de recul pour se juger soi-même à l’aune d’un sens de l’histoire qui n’a pas encore été délivré, on ne surmonte tous ces obstacles, donc, qu’en rapportant son action aux dilemmes que d’autres avant nous ont eu à trancher – certains bien, d’autres mal. Non pas que leur situation ait été en tous points semblables à la nôtre – elle ne peut pas l’être –, mais pour y puiser un sens accru du danger, de l’auto-examen, et de l’anticipation d’une histoire qui délivrera ses verdicts.

    Il faut être inconscient pour ne pas mesurer le péril : si la période actuelle n’est pas l’exacte réplique des années 1930, elle lui emprunte suffisamment pour faire redouter que des causes semblables entraînent des effets semblables. On sait assez que l’extrême-droite profite du pire. Et, à part la nef des fous éditoriale qui, répétant en boucle « la réforme », n’en finit pas de demander plus du même, on sait aussi que la période n’engendre plus que du pire – mais il allait sans dire que, comme bras armé « intellectuel » du parti unique eurolibéral, l’appareil médiatique [2] est décisivement impliqué dans la symbiose fonctionnelle qui fait prospérer le FN. De ce terrible enchaînement, qui ne créé pas d’autre devoir que de s’y opposer – quoiqu’on voie de moins en moins ce qui pourrait venir le contrarier… –, chacun devra savoir ce qu’il y a fait, et quelle place il y a tenue.

    Il est bien certain que la polémique livre son lot de mises en cause à la truelle : pour l’alter-européisme, en cela confondu avec l’européisme tout court, c’est d’envisager seulement la sortie de l’euro qui soutient un cas d’accusation… On pourrait bien plutôt soutenir que c’est d’en refuser la possibilité qui, abandonnant la question au FN et fixant les peuples dans une catastrophe eurolibérale en réalité inexpiable, livre à l’extrême-droite une ressource politique sans équivalent. La querelle cependant ne souffre plus aucune équivoque lorsqu’il devient explicitement question de faire cause commune, ou bout de chemin, ou n’importe quoi d’autre, avec le FN – et peu importent les codicilles tout à fait secondaires dont on enrobe l’idée : l’essentiel est dit.

    Egaré pour rien Retour à la table des matières

    Mais il y a pire que l’égarement : l’égarement pour rien. Car voici la tragique ironie qui guette les dévoyés : le FN, arrivé au pouvoir, ne fera pas la sortie de l’euro. Il ne la fera pas car, sitôt que la perspective de sa réussite électorale prendra une consistance sérieuse, le capital, qui ne se connaît aucun ennemi à droite et aussi loin qu’on aille à droite, le capital, donc, viendra à sa rencontre. Il ne viendra pas les mains vides – comme toujours quand il a sérieusement quelque chose à réclamer ou à conserver. Aussi, contre quelques financements électoraux futurs et surtout contre sa collaboration de classe – car, comme s’en aperçoit, pour sa déconfiture, le pouvoir actuel avec son pacte de responsabilité en bandoulière, le capital a bel et bien le pouvoir de mettre l’économie en panne par mauvaise volonté [3] – contre tout ceci, donc, le capital exigera le maintien de l’euro, son vrai trésor, sa machine chérie à équarrir le salariat. Croit-on que le FN opposera la moindre résistance ? Il se fout de l’euro comme de sa première doctrine économique – et comme de toutes les suivantes. Le cœur de sa pensée, s’il y en a une, est bien ailleurs : il est dans une sorte de néocorporatisme vaguement ripoliné pour ne pas faire trop visiblement années trente, et s’il est une seule chose à laquelle il croit vraiment, elle est sans doute à situer du côté du droit du petit patron à être « maître chez lui » (éventuellement additionné d’une haine boutiquière pour l’impôt qui nous étrangle).

    Tragique destin pour tous ceux qui auront cru voir en lui la dernière église des vrais croyants et qui finiront à l’état de recrues scientologues, essorées et refaites, rendus par-là à avoir partagé, quoique depuis le bord opposé, la même croyance que les propagandistes eurolibéraux, la croyance du FN qui chamboule tout, quand il est si clair qu’il ne chamboulera jamais rien (à part les vies des immigrés, ou des fils d’immigrés, qui vivent en paix sur notre sol et qui, elles, seront bel et bien dévastées) : car enfin a-t-on jamais vu le parti de l’ordre perturber l’ordre ? Et croit-on que le parti des hiérarchies ait à cœur de déranger les hiérarchies – en l’occurrence celles du capitalisme ? Au moins les eurolibéraux ont-ils, pour ce qui les concerne, leurs intérêts obliques à entretenir cette effarante bêtise : c’est qu’il faut bien que le FN soit assimilé à une sorte de révolution pour mieux éloigner le spectre de toute révolution – soit encore et toujours le travail de la symbiose fonctionnelle, et l’éditorialisme, empressé d’accorder au FN sa revendication la plus centrale et la plus frauduleuse (« il va tout bousculer ! »), lui rend sans même s’en rendre compte le plus signalé des services.

    À gauche, et à gauche seulement Retour à la table des matières

    Lire aussi Baptiste Dericquebourg, « Syriza et les chausse-trapes du pouvoir », Le Monde diplomatique, septembre 2015.Ceci d’ailleurs de toutes les manières possibles. Car on n’en revient pas du rassemblement parfaitement hétéroclite des visionnaires en peau de lapin occupés à déclarer caduc le clivage de la droite et de la gauche – jamboree de la prophétie foireuse où l’on retrouve aussi bien l’extrême-droite (mais c’est là une de ses scies de toujours) que l’extrême-centre, de Bayrou à Valls, pour qui la raison gestionnaire permet enfin de faire l’économie d’inutiles querelles (« idéologiques » disent les parfaits idéologues de « la fin des idéologies »). Malheureusement pour eux, le déni du réel s’accompagne immanquablement du retour du refoulé. « Ça » revient toujours. C’est même déjà revenu : en Grèce, sous le nom de Syriza – avant qu’un incompréhensible Tsipras ne sombre dans un tragique renoncement. Le tsiprasisme n’est plus qu’un astre mort, mais certainement pas la gauche en Grèce – et partant en Europe.

    Or cette persévérance suffit à ruiner et les imputations immondes de l’européisme et les dévoiements d’une « gauche » qui croit pouvoir passer par la droite de la droite. Car de même qu’on ne prouve jamais si bien le mouvement qu’en marchant, on ne démontre pas plus irréfutablement la possibilité d’une sortie de gauche de l’euro… qu’au spectacle d’une incontestable gauche qui se propose de sortir de l’euro – drame de l’insuffisance intellectuelle : à certains, il faut le passage au concret pour commencer à croire vraiment à une possibilité que leur esprit ne parvient pas à embrasser tant qu’elle demeure simplement abstraite.

    Dieu sait qu’il fallait être ou bien de la dernière mauvaise foi ou bien intellectuellement limité pour ne pas concevoir une sortie de gauche de l’euro – c’est-à-dire une vision de gauche de la souveraineté. Mais maintenant elle est là : une grosse minorité de Syriza, défaite par la trahison de Tsipras, mais décidée à continuer de lutter sous les couleurs nouvelles de la Gauche Unie, établit désormais in concreto l’existence de la « sortie de gauche » : une sortie que rien n’entache à droite, ni « repli nationaliste » puisque nous avons là affaire à des gens dont les dispositions internationalistes sont insoupçonnables, ni « dérive xénophobe » puisque pour le coup le seul point d’accord, mais absolu, au sein de Syriza, touche à la question de l’immigration, de son accueil et de sa régularisation. Et seuls les deux neurones de Jean-Marie Colombani, la haine incoercible de Quatremer pour tout ce qui est de gauche, mais aussi les préventions affolées de l’alter-européisme, pourront trouver justifié de s’exclamer au repli identitaire.

    La gauche est là. Même réduite au dernier degré de la minorité institutionnelle, elle ne mourra pas. Elle vit en Grèce. Elle revivra ailleurs en Europe, et spécialement en France, pour peu qu’on s’y aperçoive, l’échec de Tsipras enfin médité, qu’elle n’a de salut qu’hors de l’euro – et bien sûr qu’en en sortant par son côté à elle. Mais il faut être en proie au fétichisme de la sortie pour ne plus désirer sortir que pour sortir, c’est-à-dire pour se préparer à sortir accompagné n’importe comment. Et avoir sérieusement oublié de se poser la seule question qui vaille, la question de savoir pour quoi faire, et par suite avec qui ? – la seule qui ramène quelque clarté et fasse apercevoir certaines improbables alliances pour ce qu’elles sont : aberrantes, dévoyées, et promises à la perdition, au double sens de l’égarement moral et de l’échec assuré.

    Notes

    [1] Voir à ce sujet « Leçons de Grèce à l’usage d’un internationalisme imaginaire (et en vue d’un internationalisme réel) », 6 avril 2015.

    [2] Dont, à quelques exceptions minoritaires près, les différenciations internes sont tout à fait secondaires.

    [3] Pour un développement un peu plus substantiel à propos de cette question, voir « Les entreprises ne créent pas l’emploi », 26 fevrier 2014.

    Yahoo! Google Bookmarks

    votre commentaire
  •  

     

    |  Par Dan Israel

    En appelant, « à terme », les partisans d’une sortie de l’euro à se poser la question d’une alliance avec le FN, l’économiste Jacques Sapir a déclenché une levée de boucliers au sein de la gauche de la gauche. L'occasion pour celle-ci d'une clarification.

     Le 21 août, Jacques Sapir, directeur de recherche à l’EHESS passe le Rubicon. L’économiste, identifié de longue date à la gauche radicale et à l’opposition envers l’euro, écrit sur son blog (dans la version longue d’une interview accordée au site Figaro Vox) que dans la lutte contre l’euro, il lui paraît évident que la gauche doit se rapprocher des souverainistes, et surtout considérer une alliance avec le Front national. Quelques mots qui cristallisent les tensions et les désaccords stratégiques qui couvent au sein de la gauche de la gauche depuis des mois : sortir ou non de l’euro ? subvertir de l’intérieur la logique de l’Union européenne ? Avec quelles alliances ?

    Dans son texte, Sapir reprend à son compte l’appel de Stefano Fassina, ancien député italien, vice-ministre de l'économie en 2013 du gouvernement Letta. Ce membre de l’aile gauche du parti démocrate a quitté sa formation en raison de ses désaccords avec Matteo Renzi et appelle dans son texte à la création de « fronts de libération nationaux » visant à démanteler la monnaie unique européenne, après l’échec du gouvernement grec de Syriza à réorienter l’Union européenne. L’appel a été repris sur son blog par l’ex-ministre des finances grec Yanis Varoufakis, qui se déclare toutefois opposé à une « désintégration contrôlée de la zone euro ».

    Et Sapir de commenter : « À partir du moment où l’on se donne comme objectif prioritaire un démantèlement de la zone Euro, une stratégie de large union, y compris avec des forces de droite, apparaît non seulement comme logique mais aussi nécessaire. (…) La présence de Jean-Pierre Chevènement aux côtés de Nicolas Dupont-Aignan lors de l’Université d’été de Debout la France est l’un des premiers signes dans cette direction. Mais, ce geste – qui honore ces deux hommes politiques – reste insuffisant. À terme, la question des relations avec le Front National, ou avec le parti issu de ce dernier, sera posée. »

    Car pour l’économiste, l’heure est à l’union sacrée, quels que soient les partenaires : « Il faut comprendre que très clairement, l’heure n’est plus au sectarisme et aux interdictions de séjours prononcées par les uns comme par les autres. (…) Il faudra un minimum de coordination pour que l’on puisse certes marcher séparément mais frapper ensemble. C’est la condition sine qua non de futurs succès. »

    Cette position, Jacques Sapir l’a maintenue dans plusieurs médias. Par exemple sur France Inter jeudi 27 août, même s’il prend un peu de distance rhétorique quant à une alliance possible avec le FN : « J’ai dit à terme, et c’est une possibilité, et pas une probabilité, parce que nous ne savons pas quelles seront les évolutions que pourra connaître ce parti, ou un parti qui pourrait en être issu. »

    Cette prudence nouvelle dans les termes, qu’il développe aussi lors de son passage ce vendredi sur le site Arrêt sur images, s’explique par la levée de boucliers que son interview a déclenchée. Sous des plumes peu connues pour leur tendresse pour l’extrême gauche, bien sûr. Ainsi, le directeur de Libération Laurent Joffrin estimait dès le 23 août que « les masques tombent ». « Une alliance des extrêmes ? C’est la logique arithmétique et politique de la posture anti-euro », écrit Joffrin.

     

    Mais les coups viennent aussi des partisans d’une sortie de l’euro au sein même de la gauche de la gauche. Parmi les économistes de ce camp, la position de Sapir est depuis longtemps compliquée. Il ne cache pas son attrait pour le souverainisme, et l’un de ses proches, l’économiste Philippe Murer, est conseiller économique du Front national depuis plus d’un an (une décision qu'il qualifie d’« erreur »). Mais d’autres ne se retrouvent aucunement dans cette tentation du rapprochement. Parmi eux, l’économiste Frédéric Lordon, qui sera justement invité le 3 septembre dans le prochain « live » de Mediapart pour débattre de ces questions, ne pardonne pas l’appel à s’unir avec la droite et l’extrême droite. Sur son blog, il déplore que « quelqu’un comme Jacques Sapir, qui connaît bien l’histoire, ait à ce point perdu tout sens de l’histoire » et affirme que « la période est à coup sûr historique, et l’histoire nous jugera ».

    Pour Lordon, c’est « le mono-idéisme » de Sapir qui l’égare : « Puisque la Cause, c’est la sortie de l’euro, et que rien d’autre n’existe vraiment. On envisagera donc l’âme claire de faire cause commune avec un parti raciste parce que "raciste" est une qualité qui n’est pas perçue, et qui ne compte pas, du point de vue de la Cause. » L’économiste Cédric Durand, partisan déclaré d’une sortie de l’euro « de gauche » (voir ici et son analyse sur le « Grexit », et lire ici le compte-rendu de l’ouvrage qu’il a dirigé sur la question), est sur la même ligne, alors même qu’il a contribué en 2013 à une étude signée par Sapir et Murer sur les « scenarii de dissolution de l’euro », pour la fondation Res Publica.

    Sapir se déclare finalement contre la préférence nationale

    La prise de distance est tout aussi nette du côté du Front de gauche. Dans Le Monde, Éric Coquerel, coordinateur national du Parti de gauche, dénonce une « aberration », alors que l’économiste star du parti, Jacques Généreux, estime que « Jacques Sapir est victime de sa fixation sur le seul problème de l’euro ». Sur le plateau d'Arrêt sur images, Coquerel est très incisif face à Sapir, lui reprochant de « faire marquer un point » au FN, « dans un contexte où Marine Le Pen peut gagner » et de faire croire que le FN se résume à la sortie de l'euro.

    Il est vrai que dans le camp de Jean-Luc Mélenchon, les déclarations de Sapir pourraient poser un problème de brouillage, puisque le parti compte faire monter en puissance, notamment à l’occasion de son université d’été ce week-end, l’idée d’un « plan B ». C’est-à-dire la sortie de la zone euro si les tentatives d’infléchir sa politique économique échouent, avec des arguments qui rejoignent en partie ceux de Sapir, mais sans aucune référence aux souverainistes ou au FN. Mélenchon et Coquerel appellent désormais à l’organisation d’un « sommet internationaliste du plan B » pour la fin de l’année, qui « réunirait toutes les forces de l’autre gauche de l’UE acceptant de travailler et de réfléchir concrètement à ce scénario ».

    Dans une interview à La Dépêche le 27 août, Mélenchon appelle de ses vœux « des solutions internationalistes qui rapprochent les peuples ». Il relaie aussi sur son blog un appel en ce sens signé Oscar Lafontaine, le fondateur du partie allemand Die Linke. Dans le même temps, il se revendique tout de même d’un « nouvel indépendantisme français » et répond sans détour au Journal du dimanche le 23 août : « S’il faut choisir entre l’indépendance de la France et l’euro, je choisis l’indépendance. S’il faut choisir entre l’euro et la souveraineté nationale, je choisis la souveraineté nationale. »

    Sans modifier sa ligne sur le fond, Jacques Sapir semble comprendre que ses mots lui ferment bien des portes dans son propre camp, et qu’il lui faut nuancer ses déclarations. Il y a quelques jours, il estimait encore que la préférence nationale voulue par le FN n’était pas vraiment un problème, puisqu’« il y a déjà toute une série de professions qui sont interdites aux non-Français ». Dans son dernier billet de blog, daté du 27 août, il change franchement de position. Même s’il martèle qu’« on ne fait pas un front avec ses "amis" ou ses semblables politiques », il condamne pour la première fois franchement la préférence nationale, d’un point de vue légal mais aussi économique : « L’idée de préférence nationale, hors le domaine des professions particulières (liées aux fonctions régaliennes de l’État qui incluent la sécurité, la justice et l’éducation), est en réalité inconstitutionnelle si on regarde le préambule de la Constitution. Il en va de même pour les droits que l’on appelle "sociaux" et qui sont la contrepartie de contributions des salariés et des employeurs. (…) Toute segmentation du marché du travail sous la forme de l’application de la "préférence nationale" conduirait à des pressions inflationnistes importantes qui pourraient compromettre les effets positifs attendus de la sortie de l’Euro. C’est l’une des raisons pour lesquelles la participation du Front National à ce "front" n’est pas aujourd’hui envisageable, alors que celle du mouvement politique de Nicolas Dupont-Aignan, Debout la France, l’est pleinement. »

    Dans ces débats qui secouent la gauche, n’oublions pas la parole de Yanis Varoufakis, qui fut quelques mois durant au cœur de la tempête. Dimanche 23 août, invité à Frangy-en-Bresse par Arnaud Montebourg, l’économiste grec est longuement revenu sur la question de la souveraineté et des résurgences nationalistes (le discours entièrement traduit est à retrouver sur le blog de Monica M.). Son analyse est on ne peut plus claire :

    « Je tiens à différer de ceux qui ont imputé la crise de l'Europe "à l'Allemagne" et "aux Allemands". Je me suis toujours opposé à cela pour deux raisons. Tout d'abord, "les Allemands" ça n'existe pas. Pas plus que "les" Grecs. Ou "les" Français. (…) En 1929, un accident à Wall Street a commencé le processus qui a démantelé la monnaie commune de l'époque – le Gold Standard. En 2008, un autre accident à Wall Street a commencé le processus de fragmentation de la zone euro. À ces deux occasions, les Français se retournèrent contre les Allemands, les Allemands contre les Français, avant que les Français ne se retournent contre les Français, les Grecs contre les Grecs et les Allemands contre les Allemands. À ces deux occasions, dans les années 1930 et maintenant, les seuls bénéficiaires ont été les bigots, les nationalistes, les xénophobes, les misanthropes. L'œuf du serpent n'a pas mis longtemps à éclore dans de telles circonstances.
    (…)
    Donc, jamais plus de stéréotypes sur les Grecs, les Allemands, les Français, tout le monde. Tendons la main à tous ceux qui veulent refaire de l'Europe un royaume démocratique de prospérité partagée. Chers amis, la diversité et la différence n'ont jamais été le problème de l'Europe. Notre continent a commencé à se réunir avec de nombreuses langues et des cultures différentes, mais il est en train de finir divisé par une monnaie commune. Pourquoi ? Parce que nous laissons nos dirigeants faire quelque chose qui ne peut pas être fait : dépolitiser l'argent, pour faire de Bruxelles, de l'Eurogroupe, de la BCE, des zones franches apolitiques. Quand la politique et l'argent sont dépolitisés ce qui se passe, c'est que la démocratie meurt. »

     

    Yahoo! Google Bookmarks

    votre commentaire
  • Le droit à la santé est un droit fondamental inscrit dans le droit  international

     
     En 1946, dans sa constitution, l’Organisation mondiale de la santé le définissait ainsi : « Bénéficier du plus haut standard possible de santé constitue un des droits fondamentaux de tout être humain. » 

    En 1948, la Déclaration universelle des droits de l’homme, dans son article 25, reconnaît le principe du droit à la santé et aux soins par la garantie « d’un haut niveau de vie », le droit à la sécurité en cas de maladie, de vieillesse, d’invalidité... 

    Plus tard en 1961 et 2009, la Charte européenne des droits économiques et sociaux garantit également le droit à la protection de la santé. 

    En France en 1945, issue du Conseil national de la Résistance, la Sécurité sociale est mise en place. Elle construit un système d’assurance maladie fondé sur trois principes : l’égalité d’accès aux soins, la qualité des soins et la solidarité. Son financement solidaire est assis sur les cotisations salariales et les revenus du travail    (salaire socialisé qui permet de faire face aux risques de la maladie, des accidents du travail...). Depuis 1991, la CSG, impôt levé sur tous les revenus, complète le financement. 
    Ce système est attaqué de longue date, les assurances privées sont à l’affût pour le remplacer par un système assurantiel, qui servirait des prestations en fonction des primes souscrites, ouvrant la voie à « chacun sa santé selon ses moyens financiers » !!!  
    Il nous faut donc  garantir un réseau de santé accessible financièrement et géographiquement à tous, si l’on veut conserver un droit d’égal accès à la santé dans notre pays.  
    Que se passe-t-il à l’hôpital de Sarlat depuis deux ans, depuis « la mutualisation » avec celui de Périgueux ? (Mutualisation, synonyme de modernité au dire des décideurs)  
    La santé est un droit  

    La proximité est  une condition de son application 

    De quelle modernité parle-t-on ?  de la nécessité d’aller à Périgueux par ses propres moyens pour traiter une fracture, avec, à la clé, une attente de cinq heures ou plus ;  de la disponibilité d’un seul hélicoptère 24 h/24 pour tout le département, avec, en cas d’urgence, le dilemme de devoir choisir quel sera le patient prioritaire ;  du départ, depuis deux ans, d’au moins 15 médecins, qui a provoqué la multiplication des intérimaires : les malades n’ont jamais affaire au même professionnel, le travail des équipes est rendu plus difficile, sans parler du déficit qui s’accroît alors automatiquement ;  de la fermeture de la chirurgie conventionnelle, en dépit de trois blocs opératoires parfaitement équipés, et du fait que, contrairement aux annonces sans cesse répétées, la chirurgie ambulatoire ne compense en rien cette perte d’actes, les médecins de Périgueux ne pouvant se démultiplier à l’infini ;  de la décision de l’Agence régionale de santé et la direction de l’hôpital d’entériner le départ du chef de pôle de la maternité, présent depuis douze ans -- un praticien qui avait largement contribué avec l’ensemble de son équipe au renom de cette maternité. 
    Cette modernité revendiquée par les instances dirigeantes (ARS, direction de l’hôpital et certains élus) se traduit dans les faits par une dégradation du service public de santé de proximité. On est loin des engagements gouvernementaux prônant des trajets maximaux de 30 minutes entre le patient et l’hôpital public.  
               13 000 femmes et hommes du Sarladais, soutenus par les touristes de passage, signent et continuent de signer la pétition mise à disposition par notre association, réclamant plus que jamais « la suspension de la fermeture du service de chirurgie et la tenue d’une table ronde avec l’ensemble des acteurs concernés : médecins, personnels, usagers, gestionnaires, financiers et élus ». 
                                                                              le 15 juillet 2015  
    Pour tout contact : sauvons_hopital_sarlat@wanadoo.fr, ou Association de défense de l’hôpital de Sarlat c/o M. Lacrampette, La-Gendonnie, 24200 Sarlat Tél. : 0781057814 ou 0685311979 ou 0553294191 
    Tiré par nos soins, ne pas jeter sur la voie publique

    Yahoo! Google Bookmarks

    votre commentaire
  • Chèr-e-s ami-e-s,

     Depuis le mois d’Avril de nombreuses initiatives et appels ont vu le
    jour dans notre région Aquitaine Poitou Charentes Limousin : appel de
    Limousin terre de gauche du 30 mai, appel de la vague citoyenne, appel à
    rassemblement citoyen dans la région APCL, mais aussi déclaration
    d’Ensemble du 11 avril, déclaration du PCF pour un pacte pour des
    régions solidaires, citoyennes, écologiques, déclaration du PG du 17
    mai…
     Toutes ces initiatives font le même constat : les politiques menées par
    le gouvernement et ses soutiens locaux nous mènent dans le mur. La crise
    écologique, sociale et démocratique s’amplifie chaque jour un peu plus.
    Face à cela, il est urgent de construire une alternative en rupture avec
    ces choix, clairement sociale, écologique et démocratique.

     Pour cela il est urgent que les citoyen-ne-s se réapproprient le
    pouvoir, et que les forces politiques, réseaux citoyens, associations y
    contribuent. C’est le sens de la démarche initiée au sein de l’appel à
    un rassemblement citoyen dans la région APCL. Des assemblées citoyennes
    existent déjà dans plusieurs départements, il faut amplifier ce travail
    mais aussi   aller plus loin et viser à agréger toutes les forces
    disponibles pour construire cette alternative, à partir des appels et
    démarches existants.

     C’est pourquoi nous proposons à l’ensemble des signataires de tous les
    appels et aux forces politiques qui les soutiennent une réunion de
    convergence régionale afin de poser les bases d’un travail commun.
    L’objectif serait d’amplifier  la construction d’une démarche citoyenne,
    de mettre en place un projet politique et d’une charte éthique en vue
    des régionales de Décembre.
     Cette réunion aura lieu le 5 septembre à Bordeaux, à partir de 14h à la
    salle le Point du Jour (44 Rue Joseph Brunet, 33300 Bordeaux)
    https://www.google.fr/maps/place/Salle+Du+Point+Du+Jour/@44.8762366,-0.5442818,15z/data=!4m2!3m1!1s0x0:0x6f62e223688089db

     pour le comité d’animation de l’appel,
     Laurence Pache


    Yahoo! Google Bookmarks

    votre commentaire