• 27 mai 2013 -  Par Fondation Copernic, sur son blog de Médiapart

    Une nouvelle réforme, ou plutôt contre-réforme, des retraites est en préparation. L'effet catastrophique des précédentes est connu. Une étude de la DREES publiée en mars dernier a calculé que si les réformes de 1993, 2003 et 2008 s'étaient appliquées aux affiliés de la CNAV (régime général des salariés du privé) et de la MSA (régime des salariés de l'agriculture), salariés de la génération 1938, ceux-ci auraient eu des pensions de base réduites de 28 % en moyenne lors de la liquidation et de 35 % sur l'ensemble de leur période de retraite.

     

    Comme précédemment, l'argument « on vit plus vieux, il faut travailler plus longtemps » est invoqué, et il semble de bon sens. Notons pourtant que l'augmentation de l'espérance de vie ne date pas d'aujourd'hui et que, par le passé, le partage de la richesse produite a permis qu'elle s'accompagne de la diminution du temps passé au travail et d'une amélioration globale du niveau de vie. Mais surtout, vouloir augmenter la durée de cotisation relève d'une double hypocrisie.

     

    Hypocrisie quand on sait qu'une grande partie des salarié-es est déjà hors emploi au moment de liquider leur retraite. Repousser encore ce moment les enfermerait dans les minimas sociaux en attendant de pouvoir toucher une retraite à taux plein. Augmenter la durée de cotisation revient au final à faire baisser le montant des pensions sans oser le dire.

     

    Hypocrisie encore car vouloir faire travailler les salariés plus longtemps dans le contexte actuel de chômage revient aussi à rompre le contrat entre les générations. Car la solidarité intergénérationnelle a deux faces. Si les actifs paient les pensions des retraités, en contrepartie les salariés âgés laissent leur place dans l'emploi aux nouvelles générations. Décaler l'âge de départ à la retraite revient à préférer entretenir le chômage des jeunes plutôt que payer des retraites.

     

    Enfin, ce qui est important est moins l'espérance de vie que l'espérance de vie en bonne santé, et toutes les années de retraites ne sont donc pas équivalentes. Prolonger la durée d'activité, alors même que la souffrance au travail se développe et que de nouvelles pathologies apparaissent, obère le temps dont les salariés disposent pour jouir réellement des meilleures années de retraite.

     

    Mais, nous dit-on, il faut combler le « déficit abyssal » des régimes de retraites. Il y a d'abord là un élément paradoxal. Car l'aggravation du déficit est la conséquence directe des politiques d'austérité qui jettent la France et l'Europe dans une spirale récessive et entrainent une montée du chômage... et donc des déficits. Dans son rapport de décembre 2012, le Conseil d'orientation des retraites explique ainsi « la dégradation beaucoup plus rapide que prévu des comptes des régimes de retraite du fait de la chute des recettes liée à la crise ». Pourtant, ce qui nous est proposé aujourd'hui est d'aggraver encore cette politique. En finir avec l'austérité, relancer l'emploi par une réduction du temps de travail et une politique audacieuse d'investissement en matière sociale et écologique permettraient déjà de résoudre une bonne partie du problème.

     

    Enfin, la part des retraité-es augmentant dans la population, il est nécessaire, à moins de vouloir les appauvrir, d'accompagner cette évolution en attribuant aux pensions une part plus grande de la richesse créée. Il est ainsi possible de relever progressivement les cotisations patronales en baissant en parallèle les dividendes versés aux actionnaires (cette part est en effet passée en trente ans de 3 % à 9 % de la valeur ajoutée brute des sociétés non financières, sans aucune justification économique). L'investissement productif ne serait ainsi pas touché et cette mesure n'aurait pas d'impact sur les prix. La sacro-sainte compétitivité des entreprises serait donc épargnée.

     

    Le rapport du COR de décembre 2012 indique que l'augmentation du taux de cotisation pour équilibrer le système de retraites est de l'ordre de 2 % en 2020. Rien d'inaccessible. Mais il est vrai, et c'est là que le bât blesse, cela suppose un « choc de répartition » et non un choc de compétitivité. Bref, des solutions existent à condition de rompre avec les politiques actuelles et la logique d'un capitalisme financier prédateur.

     PROPOSITIONS

    Conditions préalables

    • arrêt des politiques d'austérité ;
    • action en faveur de l'emploi par la reconversion industrielle écologique, la RTT, la formation et le développement des crèches.

     Objectifs pour les retraites

    • retraite à 60 ans à taux plein ;
    • faire converger la durée de cotisation nécessaire pour une pension à taux plein et la durée moyenne de vie active constatée ;
    • élimination des inégalités de pension entre les femmes et les hommes ;
    • revalorisation du minimum contributif (pension minimum) au niveau du smic.

     Moyens

    • financement des retraites basé sur le rééquilibrage du partage de la valeur ajoutée entre salaires et profits distribués, ces derniers (notamment les dividendes) soumis à cotisation ;
    • arrêt des allègements inutiles de cotisations sociales et majoration du taux de cotisation sur l'emploi à temps partiel.

    Lien vers le billet original


      

     

    Jean-Marie Harribey, Pierre Khalfa et Christiane Marty sont membres d'Attac et de la Fondation Copernic. Ils sont coauteurs du livre Retraites, l'heure de vérité (Editions Syllepse, 2010).

     

    Ce texte a initialement été publié par LeMonde.fr le 24 mai 2013 sous le titre « Retraites : pour un choc de répartition ».

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