• Le point de vue de Paul Krugman, "prix Nobel d'économie", sur "la monstrueuse démence" des créanciers de la Grèce.

    Sur Le grand soir

    Moment de Vérité pour l’Europe (New York Times)

    Paul KRUGMAN

    Jusqu’à ce jour, les faits ont démenti toutes les alertes à l’éclatement imminent de l’euro. Quels que furent leurs discours de campagne électorale, les gouvernements capitulent devant les exigences de la troïka ; tandis que l’intervention de la B.C.E. permet de calmer les marchés.

    Ce processus a permis à la monnaie de résister, mais il a également perpétué une austérité profondément destructrice – il ne s’agissait pas de laisser les quelques trimestres de faible croissance de certains débiteurs dissimuler le coût astronomique de cinq années de chômage de masse.

    En matière politique, les grands perdants de ce processus sont les partis de centre-gauche, dont le consentement à une austérité implacable – avec pour conséquence l’abandon de tout ce qu’ils étaient censés représenter – leur cause un préjudice bien plus grand qu’à ceux de centre-droit, lorsqu’ils appliquent les mêmes politiques.

    Il me semble que la troïka – à mon avis, il est temps d’arrêter de faire semblant de croire à un quelconque changement, il convient donc de revenir à la vieille dénomination – attendait, ou tout du moins espérait que le Grèce rejoue la même histoire. Soit Tsipras adoptait le comportement habituel, en abandonnant une grande partie de sa coalition avant, selon toute probabilité, de se voir contraint à une alliance avec le centre-droit, soit le gouvernement Syriza tombait. Ce qui pourrait encore se produire.

    Cependant, à l’heure qu’il est en tout cas, Tsipras semble n’avoir aucune envie de se faire hara-kiri. Tout au contraire, au moment où il se trouve confronté à un ultimatum de la troïka, il prévoit d’organiser un référendum sur l’acceptation de ses termes. Il occasionne ainsi des manifestations d’affliction, aussi nombreuses que les déclarations sur son irresponsabilité, alors qu’en réalité, il fait ce qu’il faut, pour deux raisons.

    D’abord, en cas de victoire au référendum, le gouvernement grec aura les pleins pouvoirs, fort d’une légitimité démocratique qui, je pense, a toujours son importance en Europe. (Si tel n’est plus le cas, il faut que, cela aussi, nous le sachions).

    Ensuite, Syriza s’est trouvé, jusqu’à présent, dans une position inconfortable, par rapport à un corps électoral que des exigences austéritaires toujours plus grandes ont poussé à bout mais qui, en même temps, est peu enclin à sortir de l’euro. Envisager la réconciliation de ces aspirations a toujours constitué une difficulté, qui se trouve accrue aujourd’hui. En réalité, le référendum demandera aux électeurs de choisir leur priorité, et de donner à Tsipras mandat pour faire ce qu’il faut, si la troïka va jusqu’au bout.

    Si vous voulez mon avis, le jusqu’auboutisme des gouvernements et institutions des créanciers, relève d’une forme monstrueuse de démence. C’est pourtant bien ainsi qu’ils ont agi, aussi ne puis-je reprocher à Tsipras de s’en être remis aux électeurs, plutôt que d’accepter l’affrontement.

    Origine de l’article : http://krugman.blogs.nytimes.com/2015/06/27/europes-moment-of-truth/?_r=0

    Traduit par Hervé Le Gall

    27 juin 2015

    Yahoo! Google Bookmarks

    votre commentaire
  • Sur Médiapart

    De notre envoyé spécial.- En annonçant dans la nuit de vendredi à samedi la tenue d’un référendum, Tsipras a fait voler en éclats le cadre étroitement juridique et comptable de la négociation dans lequel voulaient l’enfermer les dirigeants de la zone euro. En soumettant au peuple grec les mesures souhaitées par la troïka (Commission européenne, BCE, FMI), il a réintroduit le peuple souverain dans la négociation.

    Alexis Tsipras vendredi soir lors de l'annonce du référendum.Alexis Tsipras vendredi soir lors de l'annonce du référendum. © Capture d'écran / Reuters.

     

    En un discours de quelques minutes, Alexis Tsipra a redonné vie et sens à l'idée européenne, engluée dans le storytelling des institutions et des banquiers : « La Grèce, qui a vu naître la démocratie, doit envoyer un message de démocratie retentissant. » Il ne s’agit donc pas d’un coup politicien mais d’une clarification qui rétablit la question de la démocratie au cœur du débat européen. Il suffisait pour s’en rendre compte d’être présent lundi soir parmi les milliers de manifestants de la place Syntagma, à Athènes, devant le Parlement grec, écouter leurs chants et leurs slogans, voir des centaines de pancartes affichant le désormais fameux OXI (NON) qui ressemble tellement – dans son graphisme même – à un OUI ; un oui à autre chose. En appelant à ce référendum, Alexis Tsipras a mis un terme à des négociations qui n’avaient d’autre but que de l’amener à capituler. Mais il a fait plus : il a prononcé ce qui pour les dirigeants européens et les créanciers constituent un véritable casus belli : une déclaration d’indépendance !

     

    En appelant à voter oui au référendum convoqué le 5 juillet par Alexis Tsipras, Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne, n’a sans doute pas mesuré la portée de son geste : non seulement il a commis une ingérence dans les affaires intérieures d’un pays membre, mais il a légitimé a posteriori la tenue d’un référendum considéré comme une provocation par les dirigeants de l’Union européenne. Mais Juncker et la Commission n’en sont plus à une contradiction près, et lorsque la guerre est déclarée, on ne s’embarrasse pas de ce genre d’arguties – car désormais, plus de doute possible, la guerre est déclarée. Une « guerre » d’un genre nouveau qui n’a pas pour seul objet la dette grecque mais également le crédit politique de Syriza.

    Une guerre d’un genre nouveau qui a pour théâtre d’opérations non plus les champs de bataille traditionnels mais les marchés financiers, et pour armes non plus des avions et des tanks mais les algorithmes informatiques et les avis des agences de notations. C’est une guerre de mouvement qui ne se déplace plus à la vitesse des troupes au sol mais au rythme des microsecondes des opérateurs virtuels de marché. Rythmes et algorithmes. Crédit et spéculation. Plus besoin d’assiéger les villes, on spécule à la baisse sur la dette souveraine. On compose les programmes et les gouvernements. On impose les réformes et les remaniements. Une classe politique aux ordres, peuplée de figurants. Il ne s’agit pas de négocier comme dans la diplomatie traditionnelle, il suffit de spéculer sur la chute d’un gouvernement. Et s’il lui arrive de résister, on déclenche un “bank run”, une panique financière, comme on l’a vu la semaine dernière : un véritable « coup d’État financier ». L'agence Standard and Poor's ne s’y est pas trompée qui a qualifié le référendum de mauvais signal pour la « stabilité économique» du pays et a abaissé la note de la Grèce à CCC–, un signal de défiance à l’intention des marchés. Signe éclatant de la subordination des politiques européennes aux marchés financiers !

    Mais c’est aussi une guerre médiatique qui oppose des récits rivaux et mobilise images et mots à des fins de persuasion ou d’envoûtement. C’est une guerre dont les batailles successives sont constituées de performances qui réussissent ou échouent. La fierté nationale est convoquée, bientôt battue en brèche par la peur du lendemain. La menace ou l’insulte sont mobilisées. Qui perd en position de négociation peut gagner en crédit de courage. Et vice versa. « Tsipras le tricheur », affirmait Der Spiegel après l’annonce du référendum grec. « La Grèce rackette l'Europe », tonnait Bild. Le correspondant de Libération à Bruxelles annonçait « la démission du président grec et l’annulation du référendum » ! Le Monde légitimait à l’avance un coup d’État contre le gouvernement Syriza. « Lui ou un autre », peu importe ! « Si Tsipras veut jouer au poker. Pourquoi pas nous ? » Mais qui « nous » ? Nous, les patriotes de la finance ? Nous, les légionnaires de l’ordolibéralisme ? Nous, les héritiers de l’oligarchie européenne ? La vérité sort de la bouche des enfants ! 

    On a assez répété après Rudyard Kipling que « la première victime d’une guerre, c’est la vérité », et la guerre financière ne fait pas exception. Mais la vérité n’est pas seulement une victime collatérale, elle est aussi l’ennemi déclaré. Le monde virtuel de la finance a besoin de créer sa propre réalité. Comment spéculer sans les médias, sans la caisse de résonance des réseaux sociaux, sans le concours des petites mains qui rédigent les éditoriaux ?

    C’est la première guerre spéculative, financière et numérique qui utilise les nouvelles technologies de l’information et de la communication pour discréditer, intoxiquer, créer des épidémies de panique, déstabiliser un pouvoir souverain. Il ne s’agit pas de négocier comme dans la diplomatie traditionnelle mais de spéculer sur la chute d’un gouvernement.

    Michel Feher a, à plusieurs reprises, sur son blog (lire ici et ), fort bien analysé le changement de paradigme politique qu’impose le néolibéralisme à ses opposants. Pour le combattre, il ne s’agit plus de négocier le partage des revenus du capital et du travail sur la base d’un rapport de force entre capitalistes et salariés mais de « prendre pied sur les marchés des capitaux en sorte d’y modifier les conditions d’accréditation – et en l’occurrence, pour obtenir que le bien-être d’un peuple y soit davantage valorisé que sa disposition à se saigner pour renflouer le système bancaire ». Et Michel Feher d’ajouter une considération stratégique : cela « nécessite l’apparition de politiciens capables de spéculer pour leur compte ». Selon lui, « Yanis Varoufakis s’est imposé comme le premier d’entre eux... Le ministre des finances du nouveau gouvernement grec ne négocie pas : il spécule et, mieux encore, contraint ses interlocuteurs à spéculer en retour sur ses intentions. Au lieu de marchander la restructuration de la dette grecque, il parie concurremment sur la bonne volonté de chacun et sur le risque qu’il y aurait à y déroger ».

    A-t-il pour autant réussi à modifier « les conditions d’accréditation », c’est-à-dire à imposer que « le bien-être d’un peuple [...] soit davantage valorisé que sa disposition à se saigner pour renflouer le système bancaire » ? Selon Michel Feher, rien n’est moins sûr. À cela plusieurs raisons, dont la principale est liée à l’abondance des propositions avancées dans la négociation. Quand le ministre des finances allemand, Wolfgang Schäuble, s’en tenait à la tenaille « Canossa ou Grexit », les Grecs ont multiplié les propositions au risque de perdre en lisibilité. Ils ont par exemple, rappelle Michel Feher, proposé successivement le remplacement des obligations existantes par des obligations indexées sur la croissance ou par des obligations perpétuelles ; que l'Europe aide la Grèce à mieux collecter l'impôt (investissements publics à cette fin) ; que l'Europe aide la Grèce à se réformer (budget militaire enflé, immunité de l'Église et des armateurs...).

    Tsipras et Varoufakis ont défendu la souveraineté des Grecs, le respect du mandat reçu de leurs électeurs tout en ne cessant de répéter que leur engagement européen les amenait à transiger avec leur programme afin de trouver un terrain d'entente avec les créanciers. « Tout est bon, malin et défendable dans cette panoplie », conclut Feher, mais trop de richesses nuit parfois – pas le temps de taper suffisamment sur tous les clous pour se faire entendre – et par conséquent, on risque de donner l'impression de la dispersion, voire de se prêter à l'accusation d'amateurisme.

    Ce n’est pas la première fois que les dirigeants de la zone euro bafouent la souveraineté des États qui la composent, mais jusque-là, lorsque des gouvernements furent renversés, comme celui de Papandréou ou celui de Berlusconi, ce fut au nez et à la barbe de l’opinion européenne, très discrètement, dans les couloirs du G20 à Cannes en 2013. Jamais une telle offensive n’avait été menée pendant plusieurs mois contre un État membre de l’Union européenne. Jamais la résistance des dirigeants désavoués par Bruxelles n’avait été aussi opiniâtre, dépassant le seul enjeu de la lutte contre l’austérité pour acquérir une valeur exemplaire. C’est de la démocratie en Europe qu’il est question dans le référendum grec, comme l’a observé Wolfgang Munchau dans le Financial Times, qui a accusé les créanciers de la Grèce de vouloir détruire la démocratie après avoir pillé son économie.

    Quels arguments opposer à la propagande hyper réelle des pouvoirs financiers, qui désinforme et désoriente, qui affole et envoûte ? Stricto sensu : rien ! C’est une guerre aux moyens asymétriques : à la conquête des cœurs et des esprits, il n'y a guère que le cœur et l’esprit à opposer. Le courage d’Achille. La ruse d’Ulysse. La colère synchrone contre l’arrogance des puissants qui apprend aux personnes qu’elles peuvent être des citoyens. Mais cette colère a des effets performatifs puissants que les spins doctors ignorent. Les révolutions arabes ont bousculé des dictateurs.

    En  appelant les Grecs à dire un « grand non » aux créanciers, Tsipras a convoqué le grand récit national des Grecs, le grand Non de Metaxas à l'ultimatum de Mussolini le 28 octobre 1940, une des deux fêtes nationales en Grèce. Chaque Grec connaît l’hommage de Churchill au courage des combattants : « Dorénavant nous ne dirons pas que les Grecs combattent tels des héros, mais que les héros combattent tels des Grecs. »

    La construction européenne, tout en brandissant les grands idéaux de démocratie et de droits de l’homme, a constamment repoussé aux lendemains la question de la légitimité démocratique de ses institutions. Ses dirigeants ont toujours contourné le suffrage universel, comme lors de l’épisode du non au référendum de 2005. Ainsi elle n’a pas seulement contribué à déconstruire la souveraineté des États-nations qui la composent par des abandons de souveraineté, elle a fait émerger un nouveau « décisionnisme » non démocratique. Le pouvoir d’agir qui se manifeste à travers le contrôle de la monnaie et du territoire s’est émancipé du pouvoir de représentation. Les gouvernants élus ont été privés des leviers de la puissance, pendant que les nouvelles institutions européennes étaient déliées de toute représentativité. Cela a produit ce visage de Janus de l’insouveraineté européenne. D’un côté, des décisions sans visage ; de l’autre, des visages impuissants. Résultat de cette dislocation : l’action est perçue comme illégitime et la parole politique a perdu toute crédibilité.

    C’est cette construction acéphale que la crise grecque a démasquée. Les visages impuissants n’ont pas changé de physionomie mais les pouvoirs sans visage sont apparus au premier plan. Les personnages mêmes de cette série “larger than life” se sont mis à ressembler à leur caricature : Moscovici plus commis que commissaire, Maîtresse Merkel doublée de son valet Matti Schäuble, Jean-Claude Juncker en Monsieur Loyal du cirque « Europa ». Le fauteuil roulant de Schäuble et la moto de Varoufakis. D’un côté, les personnages d’une comédie où la méchanceté le dispute au ridicule, où les discours des puissants ne s’embarrassent même plus de sophismes et se révèlent comme la froide résolution du plus fort – comme dans la plus désespérante des fables de La Fontaine –, où le loup de Wall Street ne prend plus la peine de se déguiser en grand-mère Merkel pour dévorer à belles dents le chaperon rouge grec.

    Depuis la victoire de Syriza en Grèce, la guerre couvait de manière sourde comme un feu de broussailles, enjambant les conseils européens, sautant d’une réunion de l’Eurogroupe à une autre, étouffée par un optimisme de commande, par les communiqués rassurants (comme les communiqués de guerre) évoquant des points de vue qui se sont rapprochés, par la perspective toujours repoussée d’un accord (toujours possible). Sur le boulier des ministres des finances, on alignait l’échéancier des remboursements et les réformes dites structurelles, coupes des budgets sociaux et des retraites, nouvelles rentrées fiscales... Comme l'usurier Shylock dans Le Marchand de Venise de Shakespeare, les créanciers entendaient bien prélever leur livre de chair sur le corps social grec, à défaut de pouvoir récupérer l’intégralité de la créance – quitte à jouer le pourrissement de la négociation avec la collaboration des médias acquis à leur cause... À l’écran, la tension entre négociateurs était presque palpable tout autant que les grandes claques que distribuait Jean-Claude Juncker en maître gogolien des pitreries européennes. Christine Lagarde alla jusqu’à réclamer des adultes dans la salle, oubliant qu’elle jouait le rôle du gendarme dans un théâtre de Guignol, un gendarme qui, loin de veiller à la stabilité financière de la zone euro, attisait avec le concours de la BCE une panique bancaire en Grèce, afin de forcer le gouvernement de Syriza à capituler. En organisant le chaos d’un pays membre de la zone euro, ses dirigeants entendaient le mettre à genoux, au lieu de remplir leur mission de solidarité et de se porter à son secours. Ils ont ainsi bafoué l’esprit et la règle des fameux traités et se sont disqualifiés devant l'histoire.

    Pendant ces longs mois de négociation, on a vu « les institutions » peu à peu tomber le masque de la rigueur et de la raison, perdre leur anonymat garant de leur efficacité et de leur puissance et prendre un visage qui est aussi un masque, pendant qu’une nouvelle génération politique incarnée par Tsipras et Varoufakis devenait les symboles d’une résistance des peuples à la domination des puissants, des rentiers, prenait la tête d’une rébellion contre cette Europe que Habermas a qualifiée de zombie et qui n’a plus en effet ni âme ni cœur.

    Lagarde, Schäuble, Dijsselbloem, Draghi, peuvent avoir les meilleures agences de com du monde, elles ne peuvent rien pour eux. Le storytelling est efficace mais on ne ranime pas un zombie en lui soufflant des histoires dans les oreilles, le bouche à bouche narratif des puissants est impuissant devant la colère des peuples... Et peu à peu j’ai compris que ce à quoi l’on assistait n’était pas un théâtre ni une comédie ni même une série née du mixage de Game of Thrones et de House of Cards. Mais un processus irréversible, follement pathétique, une sorte de momification, de « zombification » de l’Europe.

     

    A Londres (Trafalgar Square), manifestation pour l'annulation de la dette grecque, lundi 29 juin.A Londres (Trafalgar Square), manifestation pour l'annulation de la dette grecque, lundi 29 juin. © Reuters.

    L’épisode grec n’était ni un aboutissement ni un prologue, ni la conséquence des arriérés de la dette européenne, ni l’incroyable affaissement de la business class européenne, qui fait que depuis un demi-siècle, génération après génération, sous la laque des privilèges, l’Union européenne gagne sans cesse en médiocrité, jusqu’à admettre en son sein néonazis, racistes, anti-immigrés...

    Le décryptage des discours et des images, l’analyse scénographique et la sociologie culturelle ne suffisent plus à expliquer ce qui s’est passé au cours des derniers mois sur la scène européenne, car la vérité de ce processus ne relève pas d’une démystification ni d’une déconstruction mais d’un processus de révélation historique, d’éclaircissement. Une Europe en mal de souveraineté est apparue non pas médiatiquement mais immédiatement dans une sorte d’éclaircissement historique : Aufklärung. Kant définit l’Aufklärung comme une « sortie », une « issue » qui nous dégage de l’état de « minorité ». Mais que signifie cet état de minorité pour Kant ? C’est un certain état de notre volonté qui nous fait accepter l’autorité de quelqu’un d’autre pour nous conduire dans les domaines où il convient de faire usage de la raison. La condition essentielle pour que l’homme sorte de son état de minorité, c'est que soit bien distingué ce qui relève de l'obéissance et ce qui relève de l'usage de la raison. C’est ce que viennent de faire les Grecs. En dénonçant l’irrationalité des créanciers, ils les ont décrédibilisés. Désormais les choses sont clairement réparties : d’un côté une autorité sans raison, en perte de crédibilité, celle de l’Europe, de l’autre une raison commune en marche vers son autorité, celle de l’histoire. 

    Christian Salmon

    Yahoo! Google Bookmarks

    votre commentaire
  • Par l'économiste Jacques SAPIR sur son blog, le 6 juin 2015

     

    Les dernières péripéties dans la négociation entre le gouvernement grec et ses créanciers mettent en lumière les contre-sens de beaucoup des commentateurs. Ils partent du principe que le gouvernement grec « ne peut que céder » ou « va immanquablement céder » et considèrent chaque des concessions tactiques faites par le gouvernement grec comme une « preuve » de sa future capitulation, qu’ils la regrettent ou qu’ils l’appellent de leurs vœux. De ce point de vue, il y a une étrange et malsaine synergie entre les plus réactionnaires des commentateurs et d’autres qui veulent se faire passer pour des « radicaux » et qui oublient sciemment de prendre en compte la complexité de la lutte conduite par le gouvernement grec. Ce dernier se bat avec le courage d’Achille et la ruse d’Ulysse. Disons déjà qu’aujourd’hui tous ceux qui avaient annoncé la « capitulation » du gouvernement grec ont eu tort. Il faut comprendre pourquoi.

    Le point de vue du gouvernement grec

    En fait, le gouvernement grec bien fait des concessions importantes depuis le mois de février dernier, mais ces concessions sont toutesconditionnelles à un accord général sur la question de la dette. Il faut savoir que c’est le poids des remboursements qui contraint le gouvernement grec à être dans la dépendance de ses créanciers. Le drame de la Grèce est qu’elle a réalisé un effort budgétaire considérable mais uniquement au profit des créanciers. L’investissement, tant matériel qu’immatériel (éducation, sante), a donc été sacrifié sur l’autel des créanciers. Dans ces conditions, on ne peut s’étonner que l’appareil productif de la Grèce se dégrade et qu’elle perde régulièrement de la compétitivité. C’est cette situation que le gouvernement actuel de la Grèce, issu de l’alliance entre SYRIZA et l‘ANEL, cherche à inverser. Le gouvernement grec ne demande pas des sommes supplémentaires à ses créanciers. Il demande que l’argent que la Grèce dégage puisse être utilisé pour investir, tant dans le secteur privé que public, tant dans des investissements matériels qu’immatériels. Et sur ce point, il n’est pas prêt à transiger, du moins jusqu’à maintenant.

    Les mauvaises raisons des créanciers

    Les créanciers de la Grèce, quant à eux, continuent d’exiger un remboursement intégral – dont ils savent parfaitement qu’il est impossible – uniquement pour maintenir le droit de prélever de l’argent sur la Grèce via les intérêts de la dette. Tout le monde sait qu’aucun Etat n’a remboursé la totalité de sa dette. De ce point de vue les discours qui se parent d’arguments moraux sont parfaitement ridicules. Mais, il convient de maintenir la fiction de l’intangibilité des dettes si l’on veut maintenir la réalité des flux d’argent de la Grèce vers les pays créanciers. Quand, ce 24 juin, Alexis TSIPRAS a constaté l’impossibilité d’arriver à un accord, ce qu’il a résumé dans un tweet en deux parties, il a pointé ce problème.

    Il insiste sur le fait que le comportement des dirigeants européens montre soit qu’ils n’ont aucun intérêt dans un accord, et la négociation est vaine, ou qu’ils poursuivent des intérêts « spéciaux » qu’ils ne peuvent avouer. L’accusation est grave, même si elle est très réaliste. Et c’est peut-être l’annonce d’une rupture à venir.

    En fait, on peut penser que les « créanciers » de la Grèce, et en particulier les pays de l’Eurogroupe, poursuivent deux objectifs dans les négociations actuelles. Ils veulent, tout d’abord, provoquer la capitulation politique de SYRIZA et ainsi, du moins l’espèrent-ils, sauver la politique d’austérité qui est désormais contestée dans de nombreux pays, et en particulier en Espagne comme on l’a vu avec la victoire électorale de PODEMOS. Mais, ces pays veulent aussi maintenir le flux d’argent engendré par les remboursements de la Grèce, car ce flux profite largement aux institutions financières de leurs pays. Tsipras a donc parfaitement raison d’indiquer un « intérêt spécial », qui relève, appelons un chat un chat, de la collusion et de la corruption.

    Il est, à l’heure actuelle, impossible de dire si le gouvernement grec, désormais menacé par l’équivalent d’une « révolution de couleur » arrivera à maintenir sa position jusqu’au bout. Mais, jusqu’à présent, il a défendu les intérêts du peuple grec, et au-delà, les intérêts des européens, avec la force d’un lion. Nous n’avons pas le droit d’oublier cela et nous nous en souviendrons quel que soit le résultat final de cette négociation.

    Source http://russeurope.hypotheses.org/3990

    26 juin 2015

    Yahoo! Google Bookmarks

    votre commentaire
  •  

    Le Parti de Gauche de Dordogne tient à exprimer sa profonde tristesse à la suite du décès brutal d'Yves Bordes, ancien secrétaire départemental de la FSU, actuel secrétaire régional, militant d'ATTAC, de RESF, et animateur de plusieurs collectifs.

     

    Yves était apprécié de tous pour la force de ses multiples engagements au service de l'intérêt général.

     

    Le PARTI de GAUCHE Dordogne assure tous ses proches de sa sympathie dans ces douloureuses circonstances.

     

    Yahoo! Google Bookmarks

    votre commentaire
  • Sur Ma vie au poste, le blog télé de Samuel Gontier

    « Voyons si la population grecque cède déjà à la panique », propose Claire Chazal. Oh oui ! Une vraie panique, en direct dans le 20 heures ! Un « bankrun », des émeutes devant les distributeurs automatiques, des guichets pris d’assaut par des épargnants ruinés… Dimanche soir, toutes les chaînes, Arte comprise, guettaient les premiers signes de l’inéluctable « chaos » grec… annoncé par ses créanciers, en qui on ne saurait douter.
    « Le dimanche, c’est jour de messe, même pour les Grecs [ces feignants, ndlr], commence le reportage de la chaîne franco-allemande. Certains ont peut-être allumé un cierge pour le salut de leur pays. » Seul un miracle pourrait absoudre les Grecs de leurs péchés. « Le ministre grec des Finances, lui, n’a pas pu faire son devoir dominical. » J’ignorais que Yanis Varoufakis fût un fervent dévot — j’ai bien fait de regarder Arte.Sur France 2 non plus, « les Grecs n’ont en apparence rien changé à leurs habitudes ». Après s’être rendus à la messe d’Arte, « ils profitent d’un dimanche à la plage ou à la pêche ». Et ils osent se plaindre ! Alors qu’ils profitent du soleil et de la mer à longueur d’année ! « Vive la Grèce ! », crie un pêcheur irresponsable en brandissant un poulpe. « Et pourtant chacun a bien conscience que le pays traverse un moment difficile. » « On a peur, il faut que le gouvernement négocie sinon on n’arrivera à rien, confie un autre pêcheur. On ne peut pas continuer à être endetté comme ça. » Le gouvernement grec doit céder aux exigences de ses créanciers.« Incertains mais fatalistes… En majorité, les Grecs soutiennent leur gouvernement dans les négociations, assure le reporter de France 2. Comme cette psychologue qui se dit asphyxiée après cinq ans de sacrifices. » « Pour la première fois, j’ai dû emprunter non pour consommer mais pour payer des taxes, explique la psy. Il n’y a pas d’espoir si on suit la politique d’austérité. » Fin du soutien de la population, retour au bon sens du pêcheur du dimanche, incarné cette fois par une étudiante en économie pour qui il n’est « pas question de tourner la page de l’euro. Selon elle, son pays doit accepter les compromis ». « Nous voulons que le gouvernement prenne des décisions, on aurait l’esprit plus tranquille. » Et le reporter de conclure : « En attendant le sommet européen, comme un symbole, certains Grecs méditaient aujourd’hui devant leur parlement, suspendus à un avenir incertain. » France 2 rejoint Arte : seule la prière, qu’elle soit orhodoxe ou zen, peut encore sauver les Grecs de la débâcle.

     

    « Le Premier ministre Alexis Tsipras a appelé le président de la Commission européenne, la chancelière allemande et François Hollande pour savoir si les nouvelles propositions grecques ont rencontré un écho favorable », rappelle le journaliste d’Arte, introduisant une phrase du discours de François Hollande à Milan : « Nous devons tout faire pour que la Grèce puisse rester dans la zone euro dans le respect des engagements qui ont été pris. » C’est-à-dire dans le respect du remboursement de la dette. La Grèce paiera.

     

    « Le ministre allemand des Finances a une nouvelle fois tenté de jouer sur la corde sensible », poursuit la chaîne franco-allemande, en prise directe avec les médias et les responsables politiques conservateurs d’Outre-Rhin. « Si nous ne pouvons pas nous fier à ce que nous avons décidé ensemble, cela ne favorisera pas la confiance en Europe, or sans confiance mutuelle nous n’arriverons à rien. » Pas très clair. Qu’est-ce qui a été décidé ensemble ? Que la Grèce paiera ?

    « Si aucun accord n’est trouvé lundi, conclut le journaliste d’Arte, les Grecs chercheront sans doute à récupérer leur épargne, s’ils y arrivent. » La fameuse panique bancaire, le très spectaculaire bank run… « Car, selon le journaliste économique Adonis Papagiannidis, les caisses des deux plus grands banques grecques seraient déjà vides. » « Je ne crois pas que Tsipras veuille un Grexit, estime l’économiste, mais si le pays continue à être aussi indiscipliné, il sortira bel et bien de l’Union. » C’est un Grec qui le dit : son pays gouverné par des irresponsables est tellement indiscipliné qu’il ne va pas seulement abandonner l’euro mais aussi sortir de l’UE.

    Arte est bien optimiste. Sur TF1, le bank run a déjà eu lieu. Sous les yeux de l’envoyé spécial. « C’était juste à la fermeture des guichets, hier après-midi. Une épargnante sort de la banque avec un œil sur son sac à main et rentre chez elle au plus vite. » « Je viens de retirer tout mon argent parce que je suis vraiment inquiète pour lundi, explique l’épargnante. J’ai peur que, comme disait le gouvernement précédent, le pays aille droit dans le mur. » Les Grecs ont beau soutenir « en majorité » leur gouvernement, c’est dingue comme il est difficile de trouver des soutiens de Tsipras dans les JT français.

     

    « L’argent retiré des banques finit souvent dans un coffre-fort, révèle le reporter. Cette boutique florissante a déjà connu un pic des ventes il y a trois ans. » Je m’en souviens, je l’avais vu au JT. « Et à nouveau cette année depuis début mai. » « Ce sont surtout des personnes âgées, ils demandent surtout des petits coffres-forts pas très chers, détaille le vendeur de coffres. Parce qu’ils ont peur de ce qu’ils ont entendu aux informations. » Ils regardent TF1 ou Arte ?
    « Pour ceux qui n’ont pas investi dans un coffre, un site Internet s’est amusé à répertorier d’ingénieuses cachettes dans des maisons grecques, poursuit le reporter, gros plans à l’appui. Des liasses dans l’aspirateur, des euros dans les boîtes de médicaments ou des rouleaux de billets au milieu du congélateur. » La panique, ça s’organise. « Mais la pratique la plus répandue est de transférer son argent à l’étranger. » Devant le guichet d'une banque où il retire 20 euros, « un trentenaire qui souhaite rester anonyme » avoue avoir transféré 20 000 euros sur un compte en Belgique. Encore un Grec indiscipliné.« Et ce n’est pas la tonalité des médias aujourd’hui qui va rassurer les Grecs. » Ils diffusent des reportages chez les vendeurs de coffres-forts ? « Les politiques s’emportent et les éditorialistes annoncent une semaine de tous les dangers. » Takis Chatzis, journaliste de Skaï TV, l’annonce même en exclusivité pour TF1. « C’est une semaine d’angoisse et même pire que ça. » Une semaine d’épouvante, alors. « C’est la semaine où se joue l’avenir de la Grèce dans l’euro ou pas. Si nous sortons de l’euro, ce ne sera plus la Grèce de la crise mais la Grèce de la famine. » Dès que le bank run sera terminé, les journalistes feraient bien de se renseigner sur d’éventuels cas de cannibalisme.

     

    « Et nous retrouvons notre envoyé spécial à Athènes, réapparaît Claire Chazal. Alexis Tsipras a fait un certain nombre de propositions, une manifestation de soutien a lieu en ce moment à Athènes, elle est derrière vous. » N’est-ce pas plutôt une foule d’épargnants affamés qui prend d’assaut les guichets des banques ? « Est-ce que les autorités grecques peuvent sortir de la crise ? », demande la présentatrice car, sur TF1 comme sur les autres chaînes, la solution ne peut venir que d’Athènes — sans doute parce que les créanciers ont déjà accepté de cruelles concessions (mais sans qu’il soit possible de savoir lesquelles).

     

    Le reporter de TF1 me rassure. « Tout le gouvernement grec a l’air d’être d’accord pour lâcher du lest. » Ouf ! Enfin, il se discipline un peu… « Il pourrait accepter de baisser les dépenses militaires… » Ce n’est pas qu’il « pourrait accepter », c’est qu’il réclame depuis longtemps de les baisser mais ses créanciers s’en tamponnent car, selon eux, il ne s’agit pas d’une réforme « structurelle » (et l’armée grecque est une excellente cliente des exportateurs d’armes allemands et français). « … De réformer les préretraites, poursuit l’envoyé spécial, d’augmenter certaines taxes, c’est-à-dire des mesures qui cette fois-ci vont épargner les plus pauvres, ceux qui ont le plus souffert de la crise. » Et qui sont au bord de la famine.

    « Les Grecs espèrent, conclut l’envoyé spécial. Ils se disent que c’est dans l’intérêt de tout le monde de réussir à s’entendre. » « En tout cas, les créanciers de la Grèce sont très inquiets », nuance Claire Chazal, introduisant une phrase du discours de François Hollande à Milan : « Nous devons tout faire pour que la Grèce puisse rester dans la zone euro dans le respect des engagements qui ont été pris. » La Grèce paiera.

     

    Deux heures après, dans le journal de 21h30, l’envoyé spécial de BFMTV confirme l’existence de la panique bancaire du dimanche soir. « Bon nombre de Grecs se ruent vers les guichets pour retirer leurs économies. » Un signe avant-coureur de la famine à laquelle le gouvernement indiscpliné condamne son peuple. Nouvelle confirmation ce matin, une journaliste de l’AFP poste sur Twitter la preuve du bank run… des journalistes.

     

    Yahoo! Google Bookmarks

    votre commentaire



    Suivre le flux RSS des articles
    Suivre le flux RSS des commentaires