• Sur Le grand soir

    Par Maxime VIVAS

     

    Le dimanche 30 août 2015 de 9 h à 10h15, un des ateliers du Remue-méninges du Parti de gauche réunissait à l’Université Jean Jaurès de Toulouse, devant un public nombreux, Danièle Simonnet, responsable nationale du PG et ex-candidate à la mairie de Paris, Sara Serrano, représentante de la Tuerka (télé de Podemos) Frédéric Lemaire d’Acrimed et d’Attac et moi-même pour Le Grand Soir.

    Le thème était : Médias vs médias.
    Vous lirez ci-dessous un texte qui ne reproduit pas fidèlement ce que j’ai dit. En effet, une grand partie a été dite et non lue et, de plus, le temps nous a manqué. J’ai donc informé les participants que je publierai sur LGS ce que j’ai dit, plus ce que j’avais prévu de dire.

    Après m’être présenté (ma-vie-mon-oeuvre), j’ai présenté LGS.

    Le Grand Soir

    LGS existe depuis 2002. J’en suis un des administrateurs depuis 2008. A ce jour, LGS a publié 21 000 articles de 1 700 auteurs du monde entier et 66 000 commentaires de lecteurs. La publication sur le site est modérée (contrôlée a priori). Nous avons un nombre de lecteurs/uniques qui varie entre 10 000 et 15 000 environ par jour, 350 000 à 500 000 lecteurs par mois, auxquels il faut ajouter les lectures sur d’autres sites qui reprennent nos articles, plus Tweeter et Facebook et parfois les médias classiques (Arte...).

    La ligne éditoriale du GS est simple : on ne tape pas sur les individus, associations, pays en état de Résistance. De résistance à la pensée unique, à ses armées médiatiques, à ses armées tout court.

    Cela signifie que, en principe, vous ne verrez pas en une du GS un article contre les syndicats, contre les partis de gauche (j’ai dit de gauche et je me comprends), contre les pays qui luttent pour leur indépendance (Cuba, le Venezuela, la Bolivie, etc.), contre Jean-Luc Mélenchon, Pierre Laurent ou Olivier Besancenot, Tsipras, Maduro, Raul Castro (qui a cessé d’être un dictateur dans nos médias depuis qu’Obama lui faisant des risettes, il convient de l’appeler désormais « le président Raul Castro »).

    Cela ne signifie pas que tous ceux que je viens de citer n’ont que des qualités, mais leurs défauts nous sont servis cent fois par tous les médias dominants et, par conséquent, vous les connaissez assez bien sans venir nous lire.

    Nous appuyons plus sur les points communs que sur les divisions de la gauche et pour ma part, je rêve d’un grand rassemblement autour d’un projet commun. J’ai assisté au Venezuela à la naissance du PSUV (Parti socialiste unifié du Venezuela), fait de l’union de 24 partis.

    Le slogan du GS est : «  Informer n’est pas une liberté pour la presse mais un devoir ».

    L’enfumage de l’attaque du Thalys

    Permettez que je commence en regardant avec vous comment les médias unanimes ont rendu compte de l’attaque dans le TGV Thalys, le vendredi 21 août. Le soir même, nous avons appris qu’un forcené avait été mis hors d’état de nuire par deux soldats américains qui avaient reconnu (des vrais pros), à travers la porte des toilettes, le cliquetis caractéristique d’une kalachnikov qu’on arme.

    En parallèle de l’héroïsme de deux éléments de l’armée US, nous avons dû déplorer l’incompétence de la SNCF, la lâcheté de son personnel et ... la mise en danger d’un artiste précieux.

    Attendez-vous à savoir que les deux héros américains du vendredi 21 août étaient 6 et pas tous américains. Il y avait :
    -  Damien X, un Français de 28 ans qui veut garder l’anonymat (premier intervenant, il tenta de désarmer l’assaillant alors que celui-ci sortait des toilettes). 
    -  Mark Moogalian, un franco-américain, professeur d’anglais à la Sorbonne, blessé par balle après avoir arraché la kalachnikov des mains du forcené. Depuis son lit d’hôpital, il est sorti du silence hier pour protester contre la version des faits selon laquelle il était un passager blessé par une balle perdue alors qu’en vérité le forcené lui a délibérément tiré dessus au pistolet.
    -  Alek Skarlatos, soldat US,
    -  Spencer Stone, soldat US (blessé à coups de cutter),
    - Anthony Sadler, étudiant américain et ami de Stone et Skarlatos,
    -  Chris Norman, passager britannique qui est aussi intervenu.
    Les 3 Etats-uniens et le britannique ont été illico décorés de la Légion d’honneur par F. Hollande. Ça urgeait !

    La prétendue lâcheté des agents de la SNCF a été sur-médiatisée grâce à Jean-Hugues Anglade, un acteur qui avait confondu le personnel féminin du bar-restaurant en fuite (comme lui) avec des contrôleurs SNCF.

    Or, deux agents de la SNCF sont également intervenus : le chef de bord Michel Bruet a éloigné d’un coup de pied l’une des armes du forcené (il était donc au coeur de l’action, loin de J-H Anglade) et Eric Tanty, conducteur du Thalys, qui a aidé à maîtriser le tireur (et pas en restant assis dans sa cabine). 

    Lu sur le site de la SNCF (http://www.sncf.com/fr/presse/fil-info/fusillade-thalys-pepy-5974632) : « La France récompensera ses propres ressortissants, a déclaré François Hollande, lors de la cérémonie de remise de Légion d’honneur à Stone Spencer, Alek Skarlatos, Anthony Sadler et Chris Norman. Le président de la République a aussi rendu hommage aux Français dont deux agents SNCF. Ces derniers recevront également la Légion d’honneur pour avoir contribué à éviter la catastrophe à bord du Thalys Amsterdam-Paris, le vendredi 21 août ».

    Pourquoi recevront et non pas : ont reçu  ? En dernière minute, on apprend qu’ils «  devraient également être décorés dans les mois qui viennent ».

    Dans les mois qui viennent...

    Par quel mystère l’annonce initiale ne parla-t-elle que de « l’héroïsme de deux soldats américains » ? Le drame s’est produit en un espace clos, devant des dizaines de témoins, on pouvait savoir aussitôt.

    Fallait-il que dans la France au gouvernement et aux médias atlantistes, on glorifie à tout prix les USA, même au prix de la désinformation et du dénigrement de nos ressortissants ?

    Voulez-vous faire le pari que, même si on cerne à présent d’assez près ce qui s’est passé, votre entourage persistera pendant des mois ou des années, voire toujours (et de bonne foi) à répéter la version première, celle qui est fausse ?

    Faisons ce constat : quand la presse désinforme, c’est toujours en faveur de la même idéologie, en faveur des mêmes et contre les mêmes.

    Parlons à présent des médias en général. Mais clarifions le sujet qui nous réunit.

    Quand je dis « les médias », il faut entendre : « les médias dominants », ceux qui « font l’opinion ». On va distinguer :

    A - Les banquiers et industriels qui investissent dans la presse alors que c’est l’industrie la moins rentable. Mais, ceux qui paient l’orchestre choisissent la musique (voyons Bolloré avec les Guignols. Voyons comment Mathieu Gallet a expédié Daniel Mermet). Ceux qui possèdent l’orchestre sont propriétaires des musiciens ; ils choisissent les lieux, les heures, la fréquence des concerts et la puissance des baffles. Ce sont nos adversaires.

    Une Ordonnance du Conseil National de la Résistance (CNR) voulait assurer, dès la libération du territoire, la liberté de la presse, son honneur et son indépendance à l’égard de l’État, des puissances d’argent et des influences étrangères. Cette Ordonnance a été modifiée, ce qu’il en reste est bafouée .

    Presse nationale, les principaux propriétaires de journaux :

    Le Figaro Dassault (Aviation, armement)
    le Monde Niel (Free), Pigasse (Banque)
    Libération Rothschild, puis Patrick Drahi (un richissime franco-israélien)
    Aujourd’hui en France Amaury (Médias)
    Le Nouvel Observateur Bergé–Niel–Pigasse et Groupe Perdriel
    Le Point Pinault (Luxe,commerce)
    Les Echos Arnault (LVMH)
    Marianne, Yves de Chaisemartin, Maurice Szafran
    L’Express encore Patrick Drahi
    Challenges Claude Perdriel (Médias)
    Valeurs Actuelles Pierre Fabre (Pharmacie), Dassault (Groupe Valmonde).

    L’Etat au secours des adversaires de l’Etat

    Ce qui est ahurissant est que ces journaux, qui s’offusquent du « Tout Etat », de « l’Etat-providence », du « coût des fonctionnaires », de l’absence de goût des Français pour le risque entrepreneurial, vivent grâce aux subsides de l’Etat. Que l’Etat aide la presse, pourquoi pas ?

    Mais voyons comment sont réparties les aides :

    Audio-visuel :

    Et en ce qui concerne les médias audiovisuels, en dehors des chaînes publiques c’est la confiscation par les mêmes :
    TF1 (TF1, LCI, NT1...) appartient à Bouygues,
    Canal+ (Canal+ Direct 8...) Vivendi (Groupe Bolloré BlackRock , Société générale , Amundi , Caisse des dépôts , salariés 3,13 %...),
    M6 (M6,W9...) à Bertelsmann (groupe RTL).
    BFM TV appartient à A. Weil, Europe 1 à Lagardère, RMC A. Weil, RTL à Bertelsmann, etc.

    Quant aux chaînes publiques, on ne sait pas les distinguer idéologiquement des chaînes privées. Idem pour les radios (pensons à Bernard Guetta, à Arnaud Leparmentier...).

    B- Les journalistes vedettes dont certains gagnent 30 fois le SMIC. En 2009, David Pujadas a publié chez Flammarion un livre intitulé : « Vous subissez des pressions ? ». Il y répond par la négative.

    Pourquoi en effet le presser alors qu’il a été mis où il est parce qu’on savait ce qu’il dirait. Et pareil pour ses confrères des autres chaînes. Les horloges ne se concertent pas pour donner la même heure. Elles ont été conçues pour ça et celles qui contreviennent d’une seule minute ne plastronnent pas sur les clochers où sur les frontons des gares.

    Ces journalistes-là sont des adversaires politiques déguisés en journalistes. On en voit à foison qui sont mariés à des politiques, ils fréquentent les mêmes restaurants, les même lieux de vacances….

    C- Les journalistes du rang, qui ont la sécurité de l’emploi et des conditions de vie agréables. Parmi eux, certains ont une éthique, mais d’autres feraient n’importe quoi pour devenir journalistes vedettes. Ce sont aussi des adversaires politiques. Il me vient des exemples comme celui de Jean-Hébert Armengaud de Libération qui a honteusement traficoté des propos d’Hugo Chavez pour justifier un titre crapuleux : «  Le credo antisémite d’Hugo Chavez . »
    (http://www.legrandsoir.info/Chavez-antisemitisme-et-campagne-de-desinf...)
    Aujourd’hui, il est rédacteur en chef de Courrier International.

    Le philosophe Alain a écrit : « Celui qui a trahi le peuple apparaît comme dominé pour toujours par le luxe, par la vie facile, par les éloges, par le salaire enfin de l’Homme d’Etat. L’autre parti n’offre rien de pareil. Il n’y a donc point deux tentations, il n’y en a qu’une. Il n’y a point deux espèces de trahison, il n’y en a qu’une. Toute la faiblesse de n’importe quel homme le tire du même côté. La pente est à droite ». 

    D- Les précaires en CDD, les pigistes dont la plume est serve comme l’est la main de l’ouvrier pacifiste qui travaille à l’arsenal ou de l’ouvrier syndiqué qui imprimé la presse de droite, etc. On n’a pas de reproches plus vifs à faire à ces journalistes qu’aux catégories ouvrières que je viens de citer. Mais si leur soif de réussite les conduit à imiter les journalistes vedettes et ceux qui veulent le devenir, alors, précaire ou pas, ils sont des adversaires politiques.

    Toujours le philosophe : « Quand je vois un jeune auteur arriver de province avec de l’esprit, de la vanité et une plume facile, je ne sais pas au juste quelle opinion il prendra, mais je sais celle qu’il ne prendra pas. »

    Les médias-mensonges.

    La première victime d’une guerre s’appelle la vérité. On a vu le mensonge des armes de destruction massive dans la fiole brandie par Collin Powell à la tribune de l’ONU, on a vu les charniers de Tsimisoara, on a lu les propos attribués à tort à Mahmoud Ahmadinejad (« Il faut rayer Israël de la carte »), etc.

    Comment le FN pénètre des foyers sans y mettre un pied (botté)

    Je vis dans un petit village au sud de Toulouse. On n’y compte aucun immigré, on n’y enregistre pas des vols ou d’incivilités (en tout cas, pas plus qu’il y a un siècle et sans doute moins), pas de bagarres, de meurtres ni de viols ; le taux de chômage est bas. Au premier tour des élections départementales de 2015, le FN qui n’a aucun militant déclaré dans le village, qui n’y distribue aucun tract, qui n’y tient pas de réunion publique, obtient deux fois plus de voix que le PCF qui a eu un conseiller municipal communiste, connu et respecté.

    Le FN est entré dans les foyers par les médias qui ont convaincu 19 % des électeurs que ce vote-là en valait bien d’autres. C’est Jean-Marie Le Pen qui le confesse « Nous existons par les médias ».

    Le FN, la pensée unique (celle des maîtres du CAC 40) sont véhiculés par des médias que nous payons de nos impôts, de notre redevance et par la publicité.

    Dites-nous où sont les télés de gauche parmi les dizaines qui sont offertes à nos zappettes ? Dites-nous où sont les chroniqueurs politiques ou économiques de gauche dans les médias ?

    Les débats ? Parlons-en

    On dira : les médias audiovisuels sont ouverte aux débats contradictoires. Certes, mais, là aussi, le trucage règne.

    1- Sont invités sur les plateaux les « bons clients » pour l’Audimat, les beaux parleurs et quelques-uns des compères « qui se connaissent, qui déjeunent ensemble, qui dînent ensemble », dixit le sociologue Pierre Bourdieu qui insiste : « En fait, l’univers des invités permanents est un monde clos d’inter-connaissance, qui fonctionne dans une logique d’auto-renforcement permanent ».
     

    2- Pour le linguiste états-unien Noam Chomsky, il s’agit aussi de « limiter strictement l’éventail des opinions acceptables, mais en permettant un débat vif à l’intérieur de cet éventail et même d’encourager des opinions plus critiques et dissidentes. Cela donne aux gens l’impression d’être libres de leurs pensées, alors qu’en fait, à tout instant, les présuppositions du système sont renforcées par les limites posées au débat ».

    3- Un autre moyen d’empêcher l’expression d’idées se démarquant du « bon sens populaire » est de multiplier les intervenants dans un temps d’émission réduit. L’animateur lâche des « Oui, oui » impatients, des cavaliers « On a compris », voire : « En une phrase, pouvez-vous nous dire si la Grèce… ? ». Ou encore : « Notre émission touche à sa fin. Vous avez 30 secondes, Albert Einstein, pour nous expliquer votre théorie de la relativité ».

    Au Venezuela, des militants ont créé une école latino-américaine de cinéma et de télévision qui permet aux gens des quartiers et des villages de fabriquer eux-même leurs programmes, sans attendre que ceux des grands médias s’améliorent et se moralisent. Ces militants essaiment leur savoir-faire dans toute l’Amérique latine. Avec la Tuerka, les Espagnols semblent avoir réussi à créer un média de masse. Il nous reste à voir comment faire ici.

    Maxime Vivas

    PS. LGS a invité les autres participants à ce débat à lui faire parvenir le texte de leur contribution pour publication.

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  • Sur Le Monde.fr -  01.09.2015 

    Interview de Joseph Stiglitz par Marie Charrel

     
    le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz publie, le 2 septembre, « La grande fracture », aux Éditions Les Liens qui Libèrent. le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz publie, le 2 septembre, « La grande fracture », aux Éditions Les Liens qui Libèrent. Reuters /Shannon Stapleton

     

    Pourfendeur des politiques d’austérité en Europe, le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz travaille, depuis des années, sur les causes des inégalités économiques aux Etats-Unis et leurs conséquences, à la fois politiques et sociales. Le 2 septembre, il publie un nouvel ouvrage sur le sujet, La grande fracture, aux éditions « Les Liens qui Libèrent ». Rencontre.

     

    Vous expliquez dans votre ouvrage que les inégalités sont à l’origine de la crise de 2007. Pourquoi freinent-elles aujourd’hui la reprise ?

    D’abord, parce qu’elles sont souvent le résultat de rentes et monopoles paralysant l’économie. Mais, surtout, parce que les inégalités forment un terrible piège. Pour les Américains des classes populaires disposant d’une mauvaise couverture santé et qui ont difficilement accès à l’éducation, l’ascenseur social ne fonctionne plus. Ils ont peu de chance de voir leurs revenus augmenter. Or, sans hausse des revenus, il n’y a pas de hausse de la consommation, ce qui affaiblit la croissance.

    Avant la crise des subprimes, les dépenses des ménages américains étaient artificiellement – et dramatiquement – gonflées par le crédit. Maintenant que ce levier a disparu, nous constatons les ravages provoqués par les inégalités. Elles sont incompatibles avec une croissance saine.

     

    Mais la récession elle-même a accru les inégalités !

    Oui, mais il ne faut pas se tromper : les inégalités ne sont pas une fatalité, elles sont le résultat de choix politiques. Pour preuve, des états ont réussi à allier croissance et équité parce qu’ils ont fait de ce double objectif une priorité.

    C’est le cas des pays scandinaves, mais aussi de Singapour ou de l’île Maurice, qui a réussi à diversifier son économie en misant sur l’éducation de sa population. Les Etats-Unis ont beaucoup à apprendre de ces exemples.

    Vous appelez les états industrialisés, en particulier les Etats-Unis, à investir dans l’innovation, les infrastructures, l’éducation. Comment faire alors que les dettes publiques atteignent des niveaux records ?

    C’est une très mauvaise excuse. Aux Etats-Unis, les taux d’intérêts réels sont négatifs, et ils sont très bas en Europe : la période n’a jamais été aussi propice à l’investissement. D’autant que les investissements, dont il est ici question, alimenteront une croissance solide dans les années à venir et donc, des recettes fiscales supplémentaires qui permettront d’équilibrer les comptes publics.

    S’endetter pour construire l’avenir n’est pas un frein à la croissance. C’est ne pas le faire qui est un cadeau empoisonné pour les générations futures.

    Le monde va-t-il sombrer dans une « stagnation séculaire », à savoir, une longue période de croissance faible ?

    La stagnation séculaire a deux causes. La première est l’anémie de la demande mondiale, notamment plombée par des politiques d’austérité injustifiées en Europe. La seconde tient aux interrogations autour des innovations de ces dernières années.

    Pour l’instant, Facebook, AirBnb, l’économie collaborative, ne génèrent pas de gains de productivité aussi puissants que ceux de la révolution industrielle, et nous ne savons pas mesurer ce qu’elles apportent dans le Produit intérieur brut.

    L’une de ces innovations finira-t-elle par changer la donne ? Impossible de le prédire, car, par définition, ce genre de rupture est imprévisible.

    Mais une chose est sûre : les états ont un rôle à jouer ici, en investissant dans la recherche pour favoriser l’éclosion de ces innovations. Car le seul investissement des entreprises ne peut suffire.

    Mais si cela ne se produisait pas ? Si aucune innovation ne relançait les gains de productivité ?

    Dans le fond, ce ne serait pas si dramatique, puisque les ressources de la planète sont limitées. Nous pourrions très bien nous accommoder d’une croissance durablement faible, si elle s’accompagne de politiques réduisant les inégalités.

    Malgré la hausse des inégalités que vous dénoncez, l’économie américaine a progressé de 3,7 % au deuxième trimestre. Ce n’est pas si mal.

    La reprise américaine est un mirage. Il est vrai que notre taux de chômage est bas (5,3 %), mais nombre de demandeurs d’emplois sont sortis des statistiques. Il manque 3 millions d’emplois au pays. La Réserve fédérale ne le comprend pas. Ses remèdes sont inadaptés.

    La croissance de ces dernières années a été alimentée par la baisse du dollar, qui a un peu regonflé notre compétitivité, et par la bulle boursière. Mais la baisse du dollar est derrière nous, et la bulle boursière ne contribue à la consommation des ménages que très marginalement. Ce n’est pas tenable.

    Que faire pour alimenter une croissance saine aux Etats-Unis ?

    Les pistes sont nombreuses : investir dans la recherche, l’éducation, les infrastructures, favoriser l’accès des Américains à l’enseignement supérieur. Instaurer un salaire minimum me paraît aussi une bonne piste.

    Ces dernières années, les profits ont augmenté de manière disproportionnée face aux salaires. Cette distorsion du partage des revenus est source d’inégalité et affaiblit la croissance potentielle.

    Une autre façon de la corriger serait de rendre notre fiscalité plus progressive et équitable. Il n’est pas normal qu’un spéculateur soit aujourd’hui moins imposé qu’un travailleur.

    Pourquoi le prochain président américain, s’il est démocrate, appliquerait-il de telles mesures si Barack Obama lui-même ne l’a pas fait ?

    Barack Obama a commis des erreurs. Mais, depuis, quelque chose a changé aux Etats-Unis. De nombreux politiques, notamment au Sénat, ont pris conscience qu’il y a urgence à s’attaquer au problème des inégalités. Tous les candidats démocrates en ont fait leur priorité.

    Parlons un peu de l’Europe. Le troisième plan d’aide à la Grèce sortira-t-il enfin Athènes de l’ornière ?

    Ce plan est la garantie que la Grèce va s’enfoncer dans une longue et douloureuse dépression. Je ne suis pas très optimiste.

    La seule bonne nouvelle est que le Fonds monétaire international (FMI) milite désormais pour un allégement de la dette publique. Cela n’a pourtant pas empêché les créanciers d’Athènes d’adopter un programme d’aide ne disant pas un mot sur le sujet.

    Pourquoi la dette est-elle un sujet aussi sensible en Europe ?

    Pour deux raisons. La première est qu’il y a confusion. La dette y est conçue comme un frein à la croissance alors qu’au contraire, elle est l’assurance de la prospérité future, lorsqu’elle sert à financer des investissements clés. Les Européens l’ont oublié.

    Et pour cause : une partie de la droite du Vieux Continent alimente cette hystérie autour de la dette dans le but d’atteindre l’Etat providence. Leur objectif est simple : réduire le périmètre des états.

    C’est très inquiétant. A s’enfermer dans cette vision du monde, l’obsession de l’austérité et la phobie de la dette, l’Union européenne est en train de détruire son avenir.

     

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