• Commentaire de Jean-Luc Mélenchon sur le livre de Laurent Mauduit :"L'étrange capitulation"

    Dans son édition du 9 avril 2013, le site Médiapart a invité Harlem Désir, premier secrétaire du Parti socialiste, Pierre Laurent, secrétaire national du Parti communiste français, Jean-Luc Mélenchon, coprésident du Parti de gauche et député européen, et Henri Emmanuelli, député PS des Landes à réagir sur le dernier livre de Laurent Mauduit, "L'étrange capitulation".

    Retrouvez l'article complet et toutes les contributions sur :

    http://www.mediapart.fr/journal/france/090413/confrontation-autour-d-une-etrange-capitulation

     

     

    Voici la contribution de Jean-Luc Mélenchon:

    « Avec L'Étrange capitulation, Laurent Mauduit affirme dresser un “procès-verbal” de la première année de mandat de François Hollande. En fait, c'est bien plus que cela. C'est une cartographie avancée du premier cas de social libéralisme gouvernemental assumé en France.

    Déjà à l'été 2011, sur Mediapart, il avait pointé “la pente dangereuse du social-libéralisme” dans laquelle s'engageait le gouvernement Ayrault. Avec L'Étrange capitulation, Mauduit poursuit ce travail et montre la cohérence de cette orientation idéologique. Au fil des pages, il décortique, avec chiffres et citations, les mesures prises par François Hollande depuis bientôt un an. Ce qui est pourrait être lu comme une série de reculs, de renoncements, de coups tordus et de reniements est en réalité la mise en œuvre cohérente d’une orientation. La déception ne concerne que ceux qui ont eu des illusions. Elle n’implique pas le sophiste qui n’a jamais cru que ses promesses soient autre chose que des moyens d’action provisoire à durée limitée.

    Laurent Mauduit exprime une lucidité qui manque cruellement dans la plupart des services "économie" des médias de l’officialisme. Il a identifié l'alignement sur la "politique de l'offre" avec le "choc de compétitivité". La conséquence générale de ce choix initial induit une conception du rapport de force social et un choix de latéralisation impitoyable. Mauduit parle de ce gouvernement qui "met en place les réformes du camp d'en face". Quand il poursuit l'austérité budgétaire et salariale, maintient le gel du SMIC, et impose le "marché de dupes" de l'accord sur l'emploi dans lequel "le MEDEF n'a rien cédé", il n’hésite pas : il s’agit de sa cohérence. Bien sur il faut accepter de faire le travail de comparaison entre les promesses et les actes du candidat Hollande et de son parti, pour en mesurer tout le cynisme. L'Etrange capitulation est assez exhaustif. De la réforme fiscale jetée "aux oubliettes" à la "pantalonnade" de la loi bancaire "qui a fait naufrage avant même d'être mise à l'eau" ou encore "l'affligeant spectacle de la chasse aux Roms".

    Après quoi sans que cela enlève au travail du livre, j’aurais écris, si c’était mon livre un bilan plus complet en rappelant la tartufferie de la "renégociation" du traité budgétaire, le prétendu pacte de croissance et la "réorientation de l'Europe". Je me suis demandé pourquoi Mauduit d’une manière générale, laisse de côté tout ce qui rattache François Hollande au monde : à peine quelques lignes sur sa défense du libre-échange, rien sur l'alignement atlantiste acté dès son premier mois de mandat à Washington, ni sur son lamentable ralliement au Grand Marché Transatlantique. Il me semble que la cohérence doctrinale du social libéralisme ne commence pas dans la nation mais dans cette adhésion préalable au cadre global posé par la finance internationale et son centre anglo-saxon. D’un point de vue écosocialisme, je me désole du silence concernant les questions écologiques dans la capitulation social libérale. Mais il est vrai que le scanner des aspects économiques et sociaux de la politique nationale de François Hollande fournit déjà une matière première très abondante. Il faut savoir choisir son angle et on ne peut reprocher à Mauduit de l’avoir fait !

    Avec des allers-retours historiques en 1936, 1981 et 1997, Mauduit montre aussi le véritable "changement" opéré par François Hollande. La rupture avec l'histoire, les principes et les valeurs de la gauche. Il le résume crûment à propos de 1981 : "Oui l'espoir ! C'est ce qui différencie radicalement cette époque de 2012, et de la punition sociale que François Hollande inflige tout de suite au pays". On sent une colère froide quand, page 168, il s'interroge : "les socialistes sont-ils demeurés… des socialistes ? Il faudra bien finir par se poser la question". En fait le livre répond sans ambiguïté me semble-t-il. C’est non. C’est bien pourquoi de mon côté je parle de solfériniens pour désigner cette nouvelle entité politique a contenu « démocrate »

    Laurent Mauduit ne mâche pas ses mots. Il dénonce la "duperie" et la "duplicité" de François Hollande. Car l'auteur a suivi la campagne de François Hollande de très près. Son premier chapitre revient sur le double discours, la "double campagne" de Hollande. En même temps qu'il dénonçait la finance et l'austérité en public, Hollande envoyait des signaux aux riches, aux grands patrons et aux libéraux austéritaires de la Commission européenne. Laurent Mauduit a tout vu, tout relevé de cette "duplicité".

    Ce livre pointe avec justesse certaines explications à cette "capitulation" de Hollande. Il met en avant l'opportunité que lui offre la monarchie présidentielle de la Ve République. Mon camarade François Delapierre dans sa conclusion du livre du Parti de Gauche Où est le changement ? sorti cent jours après l'élection de Hollande pointait déjà ce système institutionnel fondé sur l'irresponsabilité. C'est ce système qui permet à un homme, sitôt élu, de passer par-dessus bord ses promesses de campagne, le programme de son parti, la volonté des électeurs.

    Mauduit dénonce la mise au pas de toute la gauche par François Hollande sans débat "Taisez-vous ! On social-libéralise". Il lance un cri d'alerte, presque un cri du cœur : "Que chacun ait son avis, soit. Mais qu'au moins on puisse en discuter !". Dans les dernières pages de son livre, il regrette l'absence de débat à gauche : "si l'on veut bien y réfléchir, c'est aussi un trait distinctif et sidérant de ce début de quinquennat de François Hollande : jamais le débat à gauche n'aura été aussi inexistant !". Ce n'est pas faute pour le Front de Gauche d'avoir proposé en août 2011 un débat public avec le Parti socialiste et son candidat. Des mois durant. Sans suite jamais. Il n’aura fait que faire répondre par des injures, des mesquineries et vexations typique des sournois. On comprend pourquoi. Ce débat aurait mis à jour la "duplicité" de Hollande. Une fois élu, le président de la Ve République n'a que faire du peuple et des avis contraires. Il règne.

    Au-delà, L'Étrange capitulation dénonce aussi la responsabilité de l'"oligarchie" dans la poursuite de "la seule politique possible". Au fil des pages sont étrillées l'inspection des Finances et la direction du Trésor "radicalement de droite". Mauduit dénonce comme nous les "insubmersibles" qui survivent aux alternances, les banquiers d'affaires qui gravitent autour du PS comme Mathieu Pigasse et les spécialistes du pantouflage et de la volte-face carriériste comme Jean-Pierre Jouyet.

    C'est vrai. Mais ce n'est pas tout. Les écrits de François Hollande depuis le début des années 1980 témoignent de ce tropisme social-libéral depuis longtemps. C'est d'ailleurs très surprenant que l’auteur passe a côté de ce fait. Comment Laurent Mauduit qui a tout relevé depuis la campagne, et même avant, peut-il écrire que "l'aspect le plus étonnant de cette histoire, c'est qu'elle n'était pas écrite d'avance, quoi qu'en dise le Front de Gauche". Comment peut-il écrire que "rien ne laissait suggérer que la politique économique et sociale prendrait une tournure aussi droitière" ? Illusion ? Mauduit y croit-il vraiment ? Tout ce qui advient a sa racine dans un processus politique consciemment porté par François Hollande lui-même personnellement. Il l’a exprimé en 1984 dans des tribunes que j’ai exhumée dans mon livre « enquête de gauche » paru en 2007. Le référendum de 2005 a surligné cette continuité. Nous n'avons jamais fait de procès d'intention. Nous n'avons jamais fait autre chose que ce que fait Mauduit lui-même : pointer des faits, des propos de François Hollande. Pour notre part, nous ne sommes pas surpris.

    Mais Laurent Mauduit semble ne pas voir que ce que fait Hollande n'est pas une réalité seulement française. La politique appliquée depuis le 6 mai 2012 correspond à la même orientation en œuvre dans toute la social-démocratie européenne. Laurent Mauduit ne dit rien de la débâcle des sociaux-libéraux en Espagne, en Grèce, au Portugal. Tout juste pointe-t-il le SPD Allemand en rejetant le prétendu "modèle allemand". Ce silence est la principale limite de ce livre. Il explique probablement la "surprise" de son auteur quant à la politique menée par François Hollande.

    Pour autant, cela n'empêche pas Laurent Mauduit de comprendre clairement que la politique de François Hollande menace l'existence même de la gauche. C’est par ce diagnostic et la perception de ce risque que s’ouvre mon livre d’entretien avec Michel Soudais en 2007. C’est pour répondre à ce risque après la débâcle italienne que furent créé le PG et constitué le Front de Gauche. A plusieurs reprises, l'auteur semble anticiper un nouveau 21 avril : "il faut bien accepter de faire le constat lucide. Sauf à se résigner à ce que la droite redresse la tête. Puis gagne les élections locales ou partielles. Avant d'espérer gagner la future présidentielle. Une droite dont on sait qu'elle est devenue de plus en plus poreuse aux idées du Front national". Au-delà, la politique Hollande menace dans ses principes et ses valeurs. Dès l'introduction, Mauduit perçoit bien l'enjeu : "c'est à un point de bascule d'une histoire longue que nous sommes arrivés : la gauche n'est plus, voila tout". La gauche ? Et nous ? Pourquoi assimiler le Parti solférinien à « la gauche » ? Qui sont alors les quatre millions d’électeurs du front de gauche ?

    Devant cet immense danger pour la gauche et pour la France, Laurent Mauduit convoque Marc Bloch. Le parallèle dressé avec la critique des années 1930 de Marc Bloch est saisissant. Les périodes ne sont pas les mêmes. Mais à chaque fois, les citations de l'historien auteur de L'Étrange Défaite glacent par leur actualité. L'une d'elles sonne comme une sentence définitive : dans la défaite, "le pis est que leurs adversaires y furent pour peu de choses".

    C'est pour éviter une telle catastrophe qu'ont été créé le Parti de Gauche et le Front de Gauche. L'Étrange capitulation valide notre diagnostic sur le danger qui pèse sur la gauche et sur la France. Il fournit tous les arguments pour cela. Son travail salutaire éclairera le citoyen qui veut comprendre ce qui se passe. Bien sûr, Laurent Mauduit ne va pas plus loin dans les conséquences à tirer. Là finit le travail du journaliste. Là commence l'action politique. »

    Jean-Luc Mélenchon, coprésident du Parti de gauche et député européen

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