• Le krach du système de santé ?

    Marianne - 20 mai 2013

     Il est de bon ton de vanter la généralisation de la complémentaire santé d’entreprise, prévue par l’accord national interprofessionnel (ANI). Mais s’agit-il d’une avancée sociale ou d’un nouveau recul programmé de la Sécurité sociale ?

    Par ANDRÉ GRIMALDI, professeur d’endocrinologie à la Pitié-Salpêtrière, ancien chef du service de diabétologie.

    et FRÉDÉRIC PIERRU, sociologue et politiste, chercheur au CNRS.

     

    L’approfondissement des politiques d’austérité va-t-il provoquer un krach sanitaire ? Au moment où l’OCDE estime qu’il serait possible de baisser en France les dépenses de santé, à hauteur de 1,3 point de PIB sans nuire à la « qualité » des soins, une étude publiée dans la prestigieuse revue médicale The Lancet tire la sonnette d’alarme sur les effets sanitaires dramatiques de la remise en cause des systèmes publics de santé européens : recrudescence des suicides, résurgence de fléaux infectieux que l’on pensait éradiqués ou maîtrisés, explosion des inégalités d’accès aux soins, le bilan pourrait devenir catastrophique. Il l’est déjà en Grèce. Les spécialistes de santé publique dénoncent le silence des autorités sanitaires face aux tenants de l’« assainissement » des comptes publics à tout prix.

    La France ne semble pas faire exception. Prenons l’exemple de l’accord national interprofessionnel (ANI). Ses promoteurs mettent en avant la « grande avancée » que constituerait la généralisation de la complémentaire santé d’entreprise. Son extension à l’ensemble des citoyens promise par François Hollande au dernier congrès de la Mutualité française signifierait en réalité une accélération de la privatisation rampante du système de santé ; la Sécurité sociale se « recentrant » sur les plus pauvres et sur les coûts de santé les plus élevés.

    Un tel « recentrage » est sous-tendu par un choix politique implicite : la France n’a plus les moyens, via les prélèvements obligatoires, de faire en sorte qu’en matière de soins chacun paie selon ses moyens et reçoive selon ses besoins. Elle en a d’autant moins les moyens que le gouvernement n’ose pas affronter les différents lobbies de la santé à l’origine de gaspillages importants. Reste la solution d’un transfert de prise en charge vers les assurances privées (mutuelles, instituts de prévoyance et assureurs à but lucratif).

    Or, tout euro transféré de la Sécurité sociale vers les complémentaires santé est un euro inégalitaire ; et ce pour au moins trois raisons :

     La première est que les contrats de complémentaire santé sont de qualité fort variables : ceux qui les souscrivent à titre individuel optent pour des contrats d’entrée ou de moyenne gamme, couvrant mal les soins dentaires, d’optique ou les dépassements d’honoraires ; tandis que les cadres des grandes entreprises ont accès à des contrats haut de gamme… financés pour moitié par l’employeur.

     La deuxième raison tient en deux chiffres : pour un ménage modeste, l’acquisition d’une complémentaire santé représente près de 13 % de son budget, contre moins de 4 % pour un ménage aisé. Dit autrement, avec ce désengagement programmé de la Sécurité sociale, les plus modestes paieront plus pour avoir moins et les plus riches paieront moins pour avoir plus.

     La troisième raison est due à la majoration des primes non pas en fonction des revenus mais en fonction des risques médicaux, les personnes âgées payant deux à trois fois plus que les personnes jeunes. Manque de transparence

    Moins égalitaires, moins solidaires, les assurances complémentaires sont aussi moins efficientes ; avec des frais de gestion pouvant dépasser 20 % du chiffre d’affaires, contre moins de 5 % pour la Sécu.

    Cerise sur le gâteau, ces accords d’entreprise bénéficient d’une aide de l’État sous forme de déductions fiscales et sociales (actuellement de 4 milliards, auxquels l’ANI va ajouter 2 milliards…) payée par les contribuables… y compris par ceux qui n’ont pas de mutuelle !

    L’ironie veut que ce ne soit pas les mutuelles (liées aux organisations syndicales) qui sortent victorieuses de l’accord ANI ; mais les instituts de prévoyance et, à leur suite, les assureurs privés lucratifs défendus par le Medef. Les premiers veulent des accords de branche et les seconds des accords d’entreprise. On aurait pu les mettre d’accord en proposant que la Sécurité sociale soit non seulement l’assureur principal obligatoire, mais aussi l’assureur complémentaire… comme cela est le cas en Alsace-Moselle !

    Cette proposition a, hélas, été jugée non recevable. Vous avez dit lutte contre les confits d’intérêts, transparence, rigueur ?

     

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